En 2039, l'Aqua Tek est une technologie qui a permis de remplacer le pétrole comme carburant : le mélange d'oxygène avec de l'hydrogène « généré à partir d'une solution aqueuse de borohydrure de sodium » est une « réaction qui dégage de l'énergie » avec « pour seul résidu quelques gouttes d'eau ». Détenant le monopole de cette technologie, la H2OTM Inc. est ainsi devenue la plus puissante entreprise du monde... Pendant ce temps, les foules s'abrutissent devant la télé, rêvent à la lecture de magazines imbéciles ou engloutissent leur argent dans des jeux de plus en plus violents. Le jeu le plus populaire est le GAT, ou Golgoth Aqua Tek. Un Golgoth est un « engin de chantier transformé en machine de combat dans l'optique de paris ». Les catégories 2 et 3 sont théoriquement illégales puisque les combats sont si violents qu'ils débordent parfois du cadre de l'arène et risquent de causer dégâts et victimes, mais les intérêts financiers en jeu sont si importants que tout le monde ferme les yeux.
C'est dans cet univers que nous allons faire la rencontre de plusieurs personnages remarquables : — Akumyo Matsuda, qui en 2017 a décidé de changer le monde parce que sa femme voulait un bébé et qui est depuis devenu l'homme le plus riche du Japon — Son fils, Enrique, un désœuvré désespérément inutile, qui claque l'argent de son père pour les yeux d'une belle blonde — Miho Lee, l'actrice sex symbol avec laquelle Enrique forme le couple le plus en vue du moment, — Mastaki, une jeune femme qui a quitté les forces spéciales de la police pour entre autres échapper au harcèlement sexuel venant de son chef et qui a construit Furyo, un Golgoth longtemps considéré comme invincible, — Haraku, le chef en question, bien décidé à ne pas pardonner certaines choses à Mastaki, — Sanbon-No-Yubi, un garagiste obèse qui, pour rivaliser avec Mastaki, a construit Saru, le seul Golgoth capable de gagner contre Furyo — Kuchio, un flic qui considère qu'il faut obéir aveuglément aux ordres, même si on les comprend pas...
Le scénario est intelligent et original, y compris dans sa narration à la première personne où le narrateur change sans cesse. Le texte est abondant mais jamais ennuyeux à lire car vif et incisif, souvent caustique, avec de nombreuses piques qui font mouche. L'anticipation sert ici de prétexte à une sévère satire de la télé « réalité » et de la presse « people ». Les auteurs développent par exemple plusieurs concepts d'émissions comme le vertigineux Télé-spectateur qui propose de « regarder les gens chez eux en train de regarder la télé avec dedans des gens qui les regardent se regarder dans le poste » ou encore le raffiné Chiot Story où un groupe de jeunes gens affectés par la tourista sont placés dans un bungalow pourvu d'un seul WC... De même, les dernières pages proposent un savoureux fac-similé d'un magazine people — in Famous, les news des gens plein de fric — tout à fait crédible. Dommage qu'il y ait un certain nombre de fautes d'orthographe (par exemple, pour la seule troisième colonne de la toute dernière page : « je ne savait pas », « bandrille » pour banderille, « répercution » pour répercussion...), ainsi que quelques approximations (la première page parle d'eau « génétiquement » modifiée, alors que l'eau ne contient évidemment pas de gènes et que la technologie Aqua Tek telle qu'elle est expliquée ne fait appel à aucune manipulation génétique). Mais ces quelques reproches ne sont rien en regard des nombreuses qualités du récit.
Le graphisme mélange le dessin par ordinateur — pour les décors et les robots — et le dessin traditionnel — pour les personnages. La fusion entre les deux n'est pas impeccable, mais ce contraste marqué n'est pas forcément un défaut. Au contraire, il ajoute à l'étrangeté. En revanche, on regrettera quelques maladresses dans le traitement des visages, qui apparaissent parfois bâclés (comparons par exemple le visage de Miho Lee à la planche 5 puis à la planche 34, numérotation qui inclut les pages de gardes, l'album comprenant ainsi 53 planches). Enfin, le combat entre les deux Golgoths — pour lequel les encombrantes onomatopées ne sont pas très convaincantes — manque un peu de lisibilité et pourra paraître un peu long (12 planches !) même s'il est graphiquement intéressant.
Bref, malgré quelques défauts plutôt mineurs, GAT est une série qui démarre bien, avec un univers et des personnages attachants, mais aussi avec un véritable discours sur notre monde actuel. Voilà qui mérite d'être salué !
Pascal Patoz nooSFere 08/07/2003
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