Une femme floue, ça n'existe pas. C'est d'ailleurs à ça qu'on la reconnaît. Mais si un innocent égare la photo floue d'une femme qui le hante au point que son souvenir en a été altéré, et si la rumeur s'en répand, alors la femme floue peut s'incarner puisque tout le monde y croit. Et une femme floue, c'est redoutable : tout le monde en est amoureux car chacun peut l'imaginer comme il veut. Pas étonnant que l'impératrice — que personne n'a jamais vue — soit furieuse et que l'hiver dure depuis neuf saisons ! Autant aller se perdre dans un mirage, la « Maison qui n'existe pas », où l'on revêt à l'entrée le masque de ceux qui nous y ont précédé...
Voyage dans l' absurde, dans la poésie et dans la dérision, quête saugrenue d'un Don Quichotte qui serait devenu amnésique et serait passé de l'autre côté du miroir, La Femme floue obéit à la logique de l'irrationnel, à la raison du déraisonnable, à l'équilibre du bizarre, au sérieux du burlesque, à la mélancolie de l'extravagance... Ce mélange décalé et subtil d'humour, de douce folie et de lyrisme rappelle bien sûr les œuvres de Fred, à commencer par les odyssées loufoques de Philémon. L'apparente absurdité y renvoie à celle de notre propre existence et la métaphore s'y fait ainsi philosophique et métaphysique.
C'est donc le genre d'album que l'on peut détester si l'on est un rationaliste obtus incapable de déceler de l'esthétique et du sens au sein de la fantaisie de l'insensé. Mais si vous avez aimé Fred, Le Petit Prince ou l'Alice de Carroll, La Femme floue rejoindra dès à présent ces chefs-d'œuvre sur vos étagères. Un régal !
Pascal Patoz nooSFere 10/10/2003
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