On se souvient de Sha (chez Soleil). D'ailleurs, comment l'oublier ? Le dessin de Ledroit, baroque, chargé, fulgurant, le scénar' trash et brutalement hardcore du créateur de Slaine, le british Pat Mills. On change d'éditeur (un p'tit nouveau), on prend les mêmes et on recommence. Accrochez vous : voici le nouveau Mills/Ledroit et ça va gicler bien fort ! Quoi ? Vous avez dit trash ! ? Oulalah ma bonne dame, c'est rien d'le dire. Trash comment ? ? Eh ben... trash comme Sha mais en plus trash ! Vous voyez ? C'est que Ledroit n'y est pas allé avec le dos de la cuillère. Et force est d'avouer que, visuellement, ça secoue. Et c'est magnifique ! Les ambiances en bichromie se succèdent, le rouge et le noir règnent en maître, le disputent ça et là au blanc, au vert électrique et maladif, au bleu glacé, mortel. Et puis il y a les doubles planches, trois ou quatre, pas plus, mais d'une force, d'une beauté à couper le souffle — difficile d'oublier la vision de Necropolis, la chute d'Heinrich ou son réveil sur Résurrection. Notons enfin que Ledroit enrichit ses effets de quelques touches « macintoshisées » discrètes et efficaces, à ma connaissance une nouveauté. Le scénario de Mills est du même tonneau que le dessin de Ledroit : chargé — une adéquation dans la démesure déjà bien réelle avec Sha. Nous sommes sur le front de l'Est en 1944. Heinrich est Allemand et il se meurt. Sa dernière pensée est pour Rébecca, son amour perdu, une Juive-Allemande arrêtée par la Gestapo à Berlin. Il ferme les yeux, les ouvre à nouveau, et il n'est plus sur Terre mais sur Résurrection, une sorte de négatif de notre monde où la vie est la mort, le temps progresse en reculant, la lumière est noire, etc. Après une initiation qui durera moins deux années ( !), Heinrich est désormais Requiem, un chevalier vampire, un noble guerrier aux ordres des Maîtres de l'Infini... Il y a incontestablement du Moorcock dans ce Mills/Ledroit, cette imagerie de vaisseaux-dirigeables démesurés, ce Londres baroque du XXIIIe siècle, ce héros aux yeux rouge et peau blanche, doté d'une épée démoniaque et d'une armure noire. La couverture même de l'album aurait tout à fait pu convenir à celle d'une aventure d'Elric... Et on ressort de ce premier tome à la fois enthousiasmé et quelque peu déstabilisé face à ce scénario qui part en tous sens et réinvente un tantinet l'eau chaude... C'est magnifique, violent, épique... et trop tôt pour déterminer si ce Requiem s'imposera comme une réelle réussite, une BD aussi bien à lire qu'à regarder, ou simplement un bel objet à mettre sous verre. Pour l'heure l'oeil est comblé. Quant à notre goût pour les bonnes et grandes histoires, voyons la suite avec une once de suspicion...
Org Bifrost n°21 01/12/2000
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