« Sandman est unanimement considéré aux Etats-Unis comme un des derniers grands classiques en date du comics. Un classique qui, avec les Watchmen de Moore et Gibbons, et Maus de Spiegelman, se retrouva sur un podium qui parvint (...) à attirer sur lui tous les projecteurs médiatiques. » (extrait de l'introduction de Thomas Ragon)
Cette introduction permettra au lecteur français peu au fait des éditions d'Outre-Atlantique de mesurer l'importance de cette BD mal connue en France — au moins par les lecteurs qui ne lisent pas l'anglais — , la parution des deux premiers volumes de la série aux éditions Le Téméraire étant passée en grande partie inaperçue. Elle cite même Norman Mailer qui aurait déclaré qu' « en plus de tout le reste, Sandman est une bande dessinée pour intellectuels, et il était temps ! »
Bref, Sandman est d'ores et déjà considéré comme un monument de la BD. Les éditions Delcourt se proposent de rééditer l'ensemble du cycle, en commençant par ce tome 4, intitulé La Saison des brumes, « incontestablement l'un des plus forts de la série », toujours selon l'introduction.
Nous y faisons connaissance avec la famille des Eternels, composé de Dream (ou Morphée, quelques-uns des noms de Sandman), de Death, Desire, Despair, Destiny et Delirium. Lorsque Lucifer Morningstar démissionne et remet la clé des enfers à Dream, celui-ci ne se doute pas de la convoitise qu'il va susciter. Anges, démons (sous la direction d'Azazel), dieux nordiques (Thor, Odin et Loki), dieux égyptiens (Anubis, Ba et Bes), divinités japonaises, hindoues, africaines, et même le Chaos lui-même (représenté par la petite Jemmy-les-frissons) vont à tour de rôle réclamer la propriété des enfers...
Etrange histoire, qui mélange allègrement les différentes mythologies et religions en un fourre-tout dont la cohérence n'est pas toujours évidente. Etrange ambiance, fantastique bien sûr, mais surtout onirique (quoi d'étonnant avec un personnage nommé Dream ?). Etrange intrigue, à la fois très simple — elle se résume en quelques lignes — et très dense, fourmillante de détails. Etrange emphase, avec une solennité grandiloquente, une affectation romantique poussée à l'excès, qui frisent parfois le ridicule (mais comment ces Eternels peuvent-ils autant se prendre au sérieux ?). Etrange dessin, à l'encrage appuyé, aux couleurs inhabituelles, parfois outré, parfois brouillon, souvent étonnant...
Pour apprécier La Saison des brumes à sa juste valeur, sans doute faudra-t-il attendre de mettre cet album en perspective avec les autres volumes de la série, mais on peut déjà affirmer qu'assurément, Sandman n'est pas une bande dessinée ordinaire. Ses excès peuvent sans doute irriter certains lecteur, en fasciner d'autres qui deviendront des inconditionnels. Pour ma part, je suis content de cette expérience de lecture, dont je ne connais pas d'équivalent évident, mais sans être tout à fait conquis ni convaincu d'avoir affaire au monument annoncé. En tout cas, voilà qui mérite amplement le détour...
Pascal Patoz nooSFere 03/01/2004
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