Conan est « LE » héros emblématique de l'Heroic Fantasy, souvent imité, rarement égalé. Il est l'archétype du barbare incorruptible capable de tenir tête à toute une armée, d'anéantir à lui seul une civilisation, de tuer les sorciers, démons et dieux qui croisent sa route. Les récits qui le mettent en scène sont généralement univoques : Conan arrive en un lieu où siège un terrible danger ou une force surnaturelle et il s'empare alors du moindre prétexte — un trésor à dérober, une fille à délivrer, un homme à secourir voire sa seule curiosité — pour foncer tête baissée et tout casser... Ces intrigues relativement répétitives mettent peu en valeur l'intelligence du personnage que les moqueurs surnomment « Conard le barbant ». Pourtant Conan continue à fasciner et à passionner bien des lecteurs. Pourquoi donc ?
On sait d'emblée que Conan sera roi, un jour, mais il n'a pourtant aucune ambition déclarée. Adolescent, il erre et explore le monde au hasard, poussé par les circonstances, sans quête véritable même s'il lui arrive de se donner transitoirement un objectif ou de louer ses services pour quelque mission périlleuse. S'il lui arrive de dérober des trésors, c'est sans avidité ni besoin : il les perd d'ailleurs aussitôt, sans regret. Malgré cette errance perpétuelle, Conan est entier et peu souple, ne se laissant jamais intimider, refusant tout compromis. Il ne se fie qu'à son intuition, ses impulsions et un code moral apparemment plus inné que réfléchi. A l'inverse, il se méfie du savoir humain et de la civilisation aussi bien que des entités pseudo divines qui peuplent le cosmos. Réfractaire à tout endoctrinement, il ne peut se battre pour un leader charismatique, pour un principe politique ni pour une croyance religieuse. Il détruit les royaumes comme les sectes et ne rend des comptes qu'à sa propre conscience, sans jamais être en proie au doute. Bref, Conan est simple, sans ambiguïté, imperméable aux mystères de l'univers. C'est une force vive à l'état brut, un survivant. Il représente l'animal qui est en nous, se fiant à un instinct naturellement bon, préférant vivre en harmonie avec la nature que de chercher à la comprendre et à la dominer. Malgré sa violence, il est une variante du « bon sauvage », évoluant dans un univers plutôt hostile. En ce sens, Conan est finalement plus un « sous-homme » qu'un surhomme. Il est en effet plus proche de l'animal rétif que de l'invincible guerrier. Si son opposition systématique au savoir et à la science — qui pervertissent immanquablement les savants/sorciers — peut inquiéter, sa liberté de pensée et son individualisme altruiste n'en font donc pas un nazillon ou un dictateur en puissance. Il est avant tout libre.
Ainsi, c'est peut-être parce qu'il nous renvoie l'image de notre animalité triomphante et d'un idéal de liberté que Conan fascine. Est-ce pour cette raison qu'on peut éprouver du plaisir à retrouver ce personnage ? Même si l'on n'est pas un barbare dans l'âme, même si l'on tente habituellement de régler ses problèmes quotidiens autrement que par la force, la simplicité de Conan et son univers chatoyant séduisent indubitablement.
L'adaptation graphique présente, scénarisée par Roy Thomas et dessinée par Barry Windsor-Smith, est tout à fait fidèle à l'esprit du personnage. S'il paraît au début manquer un peu de poids — il n'a en effet pas la carrure de Schwarzenegger — on oublie bien vite ce détail pour plonger avec délices dans des aventures colorées et mouvementées, peu complexes mais jamais ennuyeuses. La lecture est d'autant plus agréable que le dessin est précis, vif, inventif... Un récit comme La Tour de l'éléphant est ainsi réussi tant sur le plan de l'histoire — adaptée de la nouvelle homonyme de R. E. Howard — que du graphisme. En seulement 20 planches, il s'y passe beaucoup plus de choses que dans bien des trilogies poussives.
Cette superbe intégrale est donc à recommander chaudement à tout amateur d'Heroic Fantasy et notamment à tous les nostalgiques de la verve de Howard. Un classique du genre.
Pascal Patoz nooSFere 20/06/2004
Ces quatre aventures du héros howardien ont été publiées dans les années 1970 par Marvel Comics. L'ouvrage, en grand format, est somptueux, le dessin noir et blanc minutieux. Sinon, ben... c'est du Conan, hein, c'est brutal, peu nuancé et un peu daté. Un superbe cadeau toutefois pour les nostalgiques. (Note : Bof, yapôtrocool)
Philippe Heurtel Bifrost n°33 01/01/2004 Mise en ligne le 26/09/2005
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