Bon je sais, Bifrost c'est de la S-F., du Fantastique, vaisseaux spatiaux, grosses épées et toutes ces sortes de choses. Mais moi j'ai envie de vous parler d'Escondida de Georges Bess. Vous pouvez râler. J'm'en fous. Et pis d'abord des cailloux qui parlent, des brebis qui à force de recentrer leurs shakras se transforment en Spiderman, c'est p'têt pas d'la S-F Madame ? Hein ? ?. Georges Bess, on le connaît surtout grâce à trois séries à succès réalisées avec Jodorowsky : Le Lama Blanc, Anibal 5 et Juan Solo dont le tome 3 est en gestation. Mais voilà qu'en marge de ces gros machins, notre auteur prend le temps de respirer et accouche d'un ouvrage qui s'inscrit dans un tout autre registre. Escondida est un recueil d'histoires courtes en noir & blanc dans lequel Bess la joue sur le ton autobiographique. On y découvre un dessinateur isolé sur une île paumée et quasi déserte (la bien nommée Escondida), qui se met en scène par le biais de sa correspondance et d'un journal aux dates improbables. L'homme laisse libre cours à ses cogitations et peuple sa solitude de figuiers centenaires et de cailloux bavards. Tout part de choses simples ; le soleil et les pierres, les cactus et les figuiers... Le temps prends son temps. Toute chose semble immuable. Les récits sont tantôt poétiques (les différentes physionomies des figuiers), tantôt ésotériques (l'accouplement de la femme et du lézard), parfois complètement loufoques — avec une mention particulière à la brebis yogi Fanculo qui apprend à ses copines à se transformer en éléphant et en protoplasme gigantesque. Le dessin tend vers un réalisme épuré que traduit le désir du dessinateur de se coltiner son île : il n'y a qu'à voir l'apparent plaisir et le talent qu'il met à dessiner de simples champs de cailloux, ah ça, il les aime ses cailloux ! Voici donc un ouvrage quelque peu atypique, qui s'inscrit dans le cadre de la toute nouvelle collection « Tohu Bohu » lancée chez les Humanos et qui privilégie précisément ce type de récits en marge. On sent chez Bess un volonté de se laisser aller, de faire comme bon lui semble et à son rythme, de faire fi pour un temps des nécessités commerciales et de la volonté de séduire un quelconque public. Du coup c'est sincère et ça possède un indéniable parfum de liberté.
Eteyas Bifrost n°8 01/04/1998
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