Fin du XIXe siècle, à New York. Organisés en gangs, des orphelins irlandais vivent d'expédients, de vols et d'escroqueries. Mais l'un d'eux porte la marque des Sidhes, ce peuple féerique qui a, lui aussi, émigré d'Irlande pour gagner Tir Nan Og, pays fabuleux situé sous New York et dont les portes se sont refermés...
Bien que tout jeune, — il est né en 1972 — Fabrice Colin est incontestablement aujourd'hui l'un des plus grands auteurs francophones de l'Imaginaire. Abondamment primé, seul auteur à avoir reçu le Grand Prix de l'Imaginaire dans les catégories roman adulte (pour Dreamericana) et jeunesse (pour CyberPan) la même année (en 2004), sa profonde originalité s'exprime surtout dans des romans inclassables, « transfictionnels », comme Or not to be, Sayonara baby, ou son dernier en date, Kathleen, tous parus chez l'Atalante. Ou encore dans des livres déjantés co-écrits avec son compère David Calvo, comme le fameux Atomic Bomb chez le Bélial'. C'est dire si on espère beaucoup d'un scénario de BD signé par Fabrice Colin. D'autant plus que son ami Calvo mène lui-même une série très originale chez Dargaud, Kaarib, à la mesure de son imaginaire débridé.
Petite déception, pour son premier album, Fabrice Colin a, lui, choisi de demeurer dans un registre relativement conventionnel. Le temps peut-être de faire ses preuves dans la BD avant, on l'espère, de développer des univers plus personnels. Tir Nan Og est donc une fantasy urbaine assez classique, située dans un contexte historique solide — à l'image par exemple des Enfants de la Lune, le premier roman jeunesse de Colin. Le décor est bien planté, les personnages bien présentés et l'intrigue prend élégamment son essor, avec suffisamment d'éléments intrigants pour retenir l'attention et donner envie de lire la suite — pourquoi le prince Thomas est-il resté dans le monde des humains ? qui donc est cet étrange docteur Rumpleznick et que viennent faire ici ses machines vaguement steampunk ? Certains choix narratifs sont probablement discutables — les quatre scènes initiales se succèdent un peu rapidement, d'autres manquent de clarté, tandis qu'une longue scène souterraine occupe sept pages et paraît au contraire inutilement étirée — mais dans l'ensemble l'histoire est séduisante : on l'aura compris, la déception sus-citée ne vient que parce que l'on sait Colin capable de beaucoup plus surprenant.
Côté dessin, le travail d'Elvire de Cock se montre lui aussi tout à fait séduisant. Parfois le trait hésite encore un peu, notamment sur quelques personnages, aux expressions trop souvent répétitives, mais il ne s'agit là que de défauts mineurs, alors qu'on peut remarquer de beaux décors, nombreux tout au long de l'album, des cadrages dynamiques, ainsi que des éclairages eux-mêmes variés et réussis.
Bref, un premier album qui possède de nombreux atouts, à commencer par un scénariste-écrivain dont on attend beaucoup et une dessinatrice talentueuse. La suite !
Pascal Patoz nooSFere 01/05/2006
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