L’histoire n’est, dans son immense majorité, que la conséquence de rencontres. Ce sont de celles-ci que découlent nombre d’événements. Ainsi, Piotr Kowalski, jeune dessinateur d’une série chez Egmont Polska, rencontre Grzegorz Rosinski dans cette société qui édite Thorgal en polonais. Intéressé par l’enthousiasme de Piotr, celui-ci l’invite au festival de Sierre où il est remarqué par les responsables du Lombard, qui le présentent à Emmanuel Herzet. Ce dernier, installé dans la région de Namur où il enseigne l’Histoire et le Français, est passionné par la trame des siècles écoulés. Il concrétise cet intérêt par des scénarii. En 2004, les deux auteurs décident de monter La Branche Lincoln.
Un secret hors de la tombe commence dans l’Ouest américain, en 1910. Voss, « un Vigilante » arrête Parker, recherché comme pilleur de banques. Sur le chemin du retour, vers un jugement sommaire, celui-ci explique comment Rottman s’empare, par tous les moyens, des mines de la région. C’est pour récupérer les siennes qu’il le fait accuser de vol, après avoir tué le père. Surviennent deux anciens de la Pinkerton, à la solde de Rottman, qui veulent emmener Parker. Pour sauver sa vie, ce dernier propose à Voss de lui donner tous ses titres. Voss abat les deux gardes et déclare : « En route ! Je crois que monsieur Rottman jouit illégalement des terres qui m’appartiennent. » L’action se transporte alors vers Ted Voss, à notre époque. Il enterre son père, qui lui a laissé une lettre explicitant, dans les grandes lignes, l’origine de leur fortune et les bâtisseurs de l’empire industriel dont il est l’héritier. Dans les affaires paternelles, il retrouve deux dossiers qui contrastent. L’un est estampillé aux armes de la Maison Blanche et porte le titre Lincoln Branch, l’autre, qui est codé, porte un simple cachet représentant un cerbère. Ted, qui n’a aucun goût pour la direction d’industrie, commence à rechercher les infos avec l’aide de Maureen, une journaliste et de son ancien professeur de mathématiques. L’intrigue dévoile les pourparlers d’un Voss avec Le Duce et le Vatican pour obtenir la libre jouissance de six hectares, à Rome. Mais, les gardiens d’un passé révolu ne souhaitent pas que celui-ci soit mis en lumière. Donc…
L’idée d’un complot, de secrets à sauvegarder, de manipulations de toutes natures a été conforté, dans l’esprit d’Emmanuel Herzet, après qu’il ait vu un documentaire sur le clan Bush. Il a ainsi mis en scène un scénario sophistiqué, se déroulant sur des périodes historiquement riches en bouleversements, propices à toutes les opportunités. L’auteur, qui a le goût de la précision, donne nombre de détails sur les sujets qu’il aborde. C’est, d’ailleurs, à une quête du réalisme que se sont livrés scénariste et dessinateur. Mais, comme dans toute histoire élaborée avec soin, des personnages émergent, que l’on n’attendait pas, qui s’imposent et maîtrisent le jeu. C’est le cas de Ted, au caractère affirmé et parfaitement crédible dans la place qu’il occupe. La partie du récit relative aux codes et à leur mise en œuvre est superbement traitée.
Piotr Kowalski propose un dessin intéressant, laissant une large place à la couleur. Celle-ci gagnerait encore en caractère avec l’usage d’une palette plus large et moins tranchée. On pressent, chez cet auteur, un potentiel qui devrait s’affirmer au fil des albums.
Un secret hors de la tombe est un récit bien mené, avec une intrigue solide qui préfigure une série importante si le rythme des révélations et actions ne faiblit pas.
Serge Perraud nooSFere 07/08/2006
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