2052. Depuis vingt ans, l'Amérique du Nord s'est isolée derrière un mur infranchissable, « merveille de science et de technologie, fruit des travaux du professeur Nietsnie » (p.3). Cette Amérique est gouvernée par un triumvirat, qui écrase impitoyablement toute opposition et entretient le fossé qui sépare riches et pauvres — les premiers vivants symboliquement aux sommets des tours tandis que les seconds vivent en bas ou dans les rues. Tandis que même le professeur Nietsnie commence à mettre en doute la nécessité de maintenir l'isolation voulue par l'implacable gouvernement, le Mur tient bon. Un seul individu, Axo, semble avoir réussi à le franchir. Nul ne sait comment...
Voici une anticipation relativement classique : chez les francophones, on retrouve par exemple l'isolation complète de l'Occident dans le Jihad de Jean-Marc Ligny ou le Wang de Pierre Bordage, tandis que la fracture sociale extrême symbolisée par les riches en haut et les pauvres en bas est un véritable cliché. Sur ces bases, Fred Le Berre construit un thriller efficace, qui réussit sans peine à captiver le lecteur, alors même que son déroulement ne réserve pas de véritable surprise. En effet, la narration est agréable, ménageant un bon équilibre entre les aspects socio-politiques et les scènes d'action. Surtout, on est intrigué par le personnage d'Axo, grain de sable dans la mécanique, dont on ne sait finalement rien : d'où vient-il, que veut-il, pourquoi se range-t-il du côté de rebelles généreux alors que lui-même ne semble pas très motivé par les nobles causes ? Autant de mystères qui donnent au lecteur l'envie de suivre les aventures de ce personnage, même si l'aspect purement science-fictif demeure assez pauvre — ce scénario pourrait d'ailleurs se transposer sans grande modification dans l'URSS de la Guerre Froide.
Côté dessin, il ne faut pas s'arrêter à la couverture — des personnages sautant avec en arrière-plan un ciel enflammé ou une explosion, voilà encore un cliché un peu trop récurrent — pour apprécier le travail de Francis Buchet, lui aussi efficace et élégant, lui aussi bien équilibré, collant donc parfaitement au scénario. On peut juste regretter un manque de réflexion sur le design de ce futur situé quarante-six ans après nous et pourtant quasi identique à notre présent (il nous paraît en tout cas bien plus familier que les années 1960, quarante-six ans en arrière).
Un premier album plutôt prometteur, donc, puisqu'au bout du compte on aspire à lire la suite. Espérons que les auteurs sauront donner plus de substance à la situation géopolitique décrite et montrer davantage d'inventivité pour rendre crédible cet univers futuriste — même si leur objectif est à l'évidence de stigmatiser avant tout certains travers de notre présent.
Pascal Patoz nooSFere 10/09/2006
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