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« — Je vous vois venir avec vos gros sabots ! Vous êtes un sauveteur !?! Il y en a plein ici ! Après ils veulent se marier !
— Ah non ! Je vous assure ! C'est pas mon cas.
— Vous n'allez pas me repêcher ?
— Je ne sais pas. Je ne crois pas. Ça dépend. Pourquoi voulez-vous vous suicider ?
— Par esprit de contradiction.
— Ah oui, c'est imparable. Eh bien, allez-y. Je n'ai rien à redire à ça.
— Non !
— Vous ne sautez plus ?
— Non.
— Vous avez raison. Tout ça c'est tellement ennuyeux. » | |
Ariel Fibrome est un paumé, à la figure longue comme un jour sans pain. Triste, ennuyeux et ennuyé, il est la victime parfaite, le "serial-poissard" né, subissant les événements sans jamais rien maîtriser.
Etudiant en mendicité, il semble avoir peu de prédisposition pour cette matière car il tient plus du pigeon que du piégeur. Sans le sou, mis à la porte, Ariel va être confrontés à divers marchands de bonheur : d'abord un savant fou qui prétend avoir mis au point un vaccin contre l'ennui, puis un représentant de commerce habitué à vendre du vide…
Il serait bien tenté par le suicide, mais celui-ci est passible de la peine de mort… Pour avoir sauvé, sans grande conviction, la belle Syphilis, il sera arrêté et interné au bagne-hospice de Knokke-le-Zoute, utopie insulaire où l'on prone le retour à l'homme primitif.
L'univers d'Ariel est bien étrange. Il s'agit sans doute d'un futur proche, puisque l'euro a déjà cours, et les doux dingues semblent y avoir pris le pouvoir. La "fracture sociale" s'est installée au point d'avoir rendu l'enseignement de la mendicité officiel, et le monde disjoncte doucement mais inéluctablement.
Contrastant avec l'univers sombre de ce Paris inquiétant, l'utopie d'Harmonie est une oasis de verdure et de bonne humeur. L'expérience serait tentante, mais une bande de frappadingues peut-elle construire une non-société stable ?
C'est ce qu'on découvrira dans ce superbe album où l'absurde Carrollien côtoie l'oppression Kafkaïenne. Baignée d'un humour noir omniprésent et parsemée de personnages drôlatiques admirablement croqués, cette histoire contient tant de trouvailles qu'on regrette finalement que l'album s'achève aussi vite. Il y a tant de possibilités comiques, tant d'idées dignes d'une philosophie de l'absurde et tant de protagonistes dont les histoires mériteraient d'être complétées, qu'on réclame avec enthousiasme le retour de Fibrome.
En attendant, il ne faut pas manquer cette incroyable satire, aux péripéties nombreuses et d'une cocasserie irrésistible, où l'on reconnaîtra quelques travers de nos sociétés modernes.
On y savoure autant la qualité des textes que celle du dessin très personnel de Dumontheuil, qui traite les personnages à la façon des caricaturistes. Le graphisme bénéficie en outre d'une mise en couleurs tout à fait remarquable.
En conclusion : un régal !
Pascal Patoz nooSFere
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