En 2019, un astéroïde a rayé les Etats-Unis de la carte. Le monde est désormais dominé par deux blocs : Moyen-Orient d'un côté, Chine de l'autre, qui cohabitent et échangent pétrole contre eau, non sans quelques tensions... Mercenaire, Chess se bat pour l'argent sans se mêler d'idéologie. Engagé par des rebelles Ouïgours — des turcophones du Xinjiang — pour aller détruire une base militaire chinoise, il se voit embarqué dans une histoire bien plus complexe. L'opération n'est en effet qu'un leurre destiné à capturer un enfant tatoué d'un papillon noir, un enfant qui s'avère l'objet d'une mystérieuse expérience et qui doit prendre une gélule par jour s'il veut vivre... et peut-être éviter bien d'autres dégâts... Chess s'échappe avec l'enfant dont il voudrait savoir combien il vaut... et une longue traque commence...
Dans ce contexte d'anticipation proche, l'intrigue principale est celle d'un thriller scientifique. L'enfant est-il porteur d'un virus mortel ? d'une mutation biotechnologique ? de nanorobots destructeurs ? Pour l'instant on l'ignore, mais le suspense fonctionne à fond. Côté regrets — légers — , remarquons que le contexte géopolitique demanderait à être davantage étoffé : on sait que les Etats-Unis ont disparu, mais sans avoir d'idée précise sur ce qu'est devenue l'Europe, ni même Israël, alors qu'une partie de l'histoire se déroule au Moyen-Orient ! Cela viendra probablement dans les tomes à venir, mais ces quelques éléments auraient été d'ores et déjà utiles pour mieux cerner les enjeux de cette nouvelle configuration politique, sans nuire forcément au rythme du thriller. De même, on apprécierait de mieux connaître le passé des protagonistes et notamment celui de Chess, mais nul doute que ces informations viendront par la suite. Il y a en tout cas matière à rendre le récit plus dense. Au lieu de développer ces deux aspects — géopolitique et personnalité des protagonistes — le scénariste a choisi de mettre l'accent sur le jeu stratégique, par le biais d'une partie d'échecs jouée à distance par Sul l'arabe et Shaïpang le chinois. Chaque coup est accompagné de sous-entendus, de commentaires à double sens et de considérations philosophiques, donnant à cette illustration sur échiquier de l'affrontement des deux blocs une véritable subtilité, assortie d'une tension remarquablement rendue. Ce choix constitue sans doute le point fort de ce thriller par ailleurs bien mené mais plus ordinaire. L'irruption du pion incontrôlable que constitue Chess, risquant de perturber l'équilibre des forces, acquiert ainsi une autre dimension lorsqu'elle se voit assimilée par les deux joueurs en présence.
Le dessin, épuré et efficace, ne dissimule guère les influences du comics façon Miller ou Mignola. Pour un premier album, Michael Minerbe montre déjà un graphisme dont la sobriété maîtrisée n'empêche en rien une personnalité affirmée, en parfaite adéquation avec la tension du scénario.
Bref, Chess a beaucoup d'atouts pour devenir un grand thriller, surtout si le scénariste parvient à maintenir l'aspect stratégique de la partie en cours, tout en étoffant le tableau géopolitique afin d'en tirer toutes les conséquences et en développant la consistance de ses personnages. Une belle ouverture en tout cas.
Pascal Patoz nooSFere 07/05/2007
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