Xavier Dorison avait été sollicité par Marvel pour écrire un scénario sur un de leurs personnages. Il avait choisi de mettre Iron man, l’Homme de Fer, au cœur de la Première Guerre Mondiale. Mais, comme nombre de projets, celui-ci ne s’est pas réalisé. (C’est fou, quand on fait le point, le nombre de projets qui avortent !) Cependant, l’idée d’un super héros dans le paysage de la Guerre de 14-18 continuait de germer. L’idée s’est concrétisée, mais il fallait un dessinateur capable de mettre en musique une telle partition. C’est Marya Smirnoff, qui ayant des dessins préparatoires d’un auteur espagnol pour une autre série, fit la liaison.
Les Moissons d’acier débutent en 1911, dans l’est marocain, lorsque l’armée française tente de reprendre Fès aux rebelles. L’État-major ne connaît qu’une tactique : la charge à la baïonnette qui, immanquablement, se termine en boucherie face aux armes modernes. Le sort du combat est donc incertain jusqu’à l’entrée en lice de Taillefer, un homme de métal qui se moque des balles, se joue des obstacles et semble invincible jusqu’à ce qu’il tombe …en panne de batterie. Son accompagnateur doit le détruire. La trop faible autonomie des piles signe la fin de l’expérience Sentinelles. Cette section secrète de l’armée française a vécu. Le colonel Mirreau est affecté à la gestion des retraites ! 1914. La découverte de radium, ouvre de nouvelles perspectives. Gabriel Ferraud, un jeune scientifique met au point une pile à l’autonomie stupéfiante…pour l’époque. Mirreau voit les potentialités de cette énergie sur des Taillefer. Mais Feraud, antimilitariste, refuse de la lui vendre malgré ses difficultés financières. La guerre éclate. Feraud est mobilisé. Le colonel, qui veut garder un œil sur lui, manœuvre pour lui faire adjoindre l’accompagnateur du précédent Taillefer. En août, le jeune scientifique est gravement blessé. À l’hôpital, Mirreau lui met un marché en main : donner la pile au radium au médecin créateur des Sentinelles, car amputé des quatre membres, il ne peut devenir que le nouveau Taillefer…
Bien que situant son scénario dans une période charnière qu’il affectionne, Xavier Dorison se défend de vouloir faire œuvre d’historien. Il se veut un simple raconteur d’histoires qu’il place dans le cadre de la grande Histoire. La Première guerre Mondiale, qui est un tournant dans l’histoire de l’humanité, lui donne le contexte de crise aiguë dans lequel il fait évoluer quelques individus caractéristiques. Il en résulte un récit passionnant que l’auteur sait rendre attractif dès sa mise en place. Il offre un travail approfondi sur les caractères des personnages, avec une intrigue où tout est pesé. Dans ce monde où la mort est omniprésente, il décrit fort bien des profils typiques avec l’antimilitariste qui préfère la ruine plutôt que donner la préférence à l’armée, l’idéaliste qui pense œuvrer pour la plus grande gloire de la France, le médecin qui veut progresser dans sa connaissance des possibilités humaines... Et dans ce contexte où la vie vaut si peu, l’auteur développe l’implications des uns et des autres, l’évolution des sentiments en fonction des situations..
Le dessin d’Enrique Breccia est magnifique. Il donne une force, une puissance à ses images et un réalisme qui peut choquer. Les auteurs ne gomment pas les détails mais montrent la réalité d’un conflit, avec les corps explosés, le sang, les mutilations… C’est aussi la part du récit qui peut expliquer ces comportements que l’ont a du mal a admettre quand on est confortablement installés, qu’aucun danger ne nous menace, que l’instinct de survie est passablement assoupi par les digestions difficiles dues à une suralimentation. Cependant, une meilleure répartition des cartouches dans les vignettes permettrait une lecture plus aisée.
Un premier volume remarquable qui laisse espérer une suite à la hauteur, car la barre est placée, d’ores et déjà, à un niveau élevé. Mais connaissant l’œuvre du scénariste, faut-il s’inquiéter ?
Serge Perraud nooSFere 25/01/2008
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