Danubia est un satellite artificiel où se sont réfugiés les nantis, après avoir rendu invivable la surface de leur planète. Sur place restent les mutants qui n’ont qu’une idée en tête : trouver les moyens de subsister misérablement. Trois d’entre eux ont recueilli un jeune garçon. Il les émerveille par les images colorées qu’il projette de son esprit. Sur Danubia les familles sont rassemblées pour le lancement du plan d épuration destiné à nettoyer la planète et la rendre exploitable économiquement. Celle-ci recèle encore d’inépuisables ressources énergétiques. Memomater, l’Intelligence Artificielle qui gère le satellite, détecte une vie, pure à 100%, et suspend l’opération au grand dam des familles. Asia, la fille de Bartolomeo, un des chefs de la puissante maison Cobalta, est parti à la recherche de son petit frère, génétiquement impur, que son père a envoyé sur Libera. Demi-mort, le mutant à deux têtes qui a perpétué l’assassinat du maître d’armes sur Danubia est revenu. Son patron lui demande de retrouver le petit garçon. Une chasse à l’enfant s’organise. Il faut débarrasser la planète de tout ce qui bloque la décision de Memomater !
Pour nourrir son histoire, Pierre Boisserie s’inspire de thèmes très actuels et, l’humanité n’évoluant pas, très classiques, comme l’exploitation irraisonnée des ressources au profit de quelques uns. Par le biais d’un de ses personnages, il lance une diatribe contre cette recherche effrénée du gain, cette course aveugle où la fin justifie les moyens quelles qu’en soient les conséquences pour l’ensemble de la communauté humaine.
Sa description de Libera, de l’existence des mutants, de leur régression, est parlante. Le scénariste développe un langage uniquement phonétique mettant ainsi en concordance l’évolution des mutants et leur besoin d’expression. C’est une excellente analyse, car trop souvent, dans les récits qui traitent d’une telle régression, les individus continuent d’user d’un vocabulaire soutenu. Ce qui est frappant, par contre, c’est le rapprochement que l’on peut faire avec le langage écrit des adeptes du SMS à haute dose.
L’histoire est traitée avec profondeur, rigueur et d’un ton alerte. On doit cependant regretter que ce récit ne soit pas totalement fictif. Cette histoire a trop de similitudes avec notre époque actuelle. Libera rappelle trop les collines d’ordures fouillées sans relâche par les plus démunis, aux abords des grands cités.
Le dessin de Sylvio Cadelo conforte la vision dantesque de l’histoire. Son travail sur les personnages, sur les mutations des corps, en utilisant des parties d’insectes, sur les décors est remarquable. La mise en couleurs, avec la grisaille d’un monde pourri, la projection d’images aux couleurs éclatantes, symboles d’espoir, les éclatantes apparitions de Memomater, mettent en valeur l’incompatibilité des deux univers.
Après un premier volume prometteur par le traitement novateur de thèmes bien connus, Gran Môm confirme l’excellent niveau de cette série.
Serge Perraud nooSFere 06/04/2008
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