Gabrielle Lange, la belle reporter de radio est toujours en quête de nouveaux sujets à sensations. Elle est en route, accompagnée de Mathieu White son preneur de son et amant occasionnel, pour Greenwood Manor, un établissement psychiatrique sis au fin fond des Highlands écossais. Le temps est épouvantable, il ne cesse de pleuvoir. A leur arrivée, le château paraît désert. La porte étant ouverte, ils entrent et découvrent un cercueil ouvert, contenant le corps d’une belle rousse. Soudain celle-ci se redresse, déclame des vers érotiques et s’enfuit par une porte …d’où sortent des personnes déguisées en animaux. À leur tête, une dame qui se présente comme la secrétaire du Docteur Eon, les accueille. Gabrielle et Mathieu font alors connaissance avec le psychiatre qui admet s’occuper seul de l’établissement. Tous les autres sont des patients relevant de pathologies variées plus ou moins sévères. Cette « pension de famille », comme Eon aime à définir son établissement, accueille le « gratin » : actrice, romancière, chercheurs, politiciens, entrepreneurs… Ils sont ici, parce qu’ils sont prédestinés. En effet, la folie, selon le docteur, n’est pas une maladie mais une vocation. Il ne faut donc pas contrarier la nature ! Qui est cet être contrefait qui apparaît, disparaît, semble immatériel mais fasciné par Gabrielle ? Qu’est-ce qui se cache derrière cette apparente réalité ? Quels sont les buts poursuivis par le docteur Eon ?
La réédition, en une intégrale dont le format valorise les grandes qualités graphiques et narratives des 2 albums publiés en 1998 et 1999, est une heureuse surprise. Elle permet de retrouver la verve de deux auteurs qui ont développé, dans leur carrière, une œuvre atypique ouverte sur la fantaisie, le rêve, mêlant étroitement réalisme et imaginaire.
Cothias, dans nombre de ses séries livre un scénario aux tonalités exubérantes, enchevêtrant des données sur le sens profond de notre société, jusqu’à une conclusion étonnante, mais pourquoi pas, plausible. À la fin de la présente intégrale, il revient, dans un long texte, sur les motivations et les choix qui ont guidé son intrigue. Griffo, avec sa façon d’aborder graphiquement les histoires qu’il met en images, par la nature de son trait et le choix des couleurs retrouve les tonalités des univers oniriques. Leur rencontre dans une intrigue passablement tortueuse, avec une galerie de personnages qui n’a rien à envier aux Freaks de Tod Browning, amène une déstabilisation du lecteur face à cette tentative de transformation de l’imaginaire en réel, mais un réel qui s’effrite.
Cet album ne s’aborde pas facilement. Il faut entrer dans une histoire dense, qui comporte nombre de références, nombre de variations sur la réalité, sur sa perception, sur l’aboutissement de l’être humain et de sa personnalité. Mais lorsqu’on intègre l’histoire, on peut participer à une démarche peu commune du scénariste. La première partie est dédiée à l’univers de Greenwood Manor, à son « fonctionnement » selon les théories du docteur Eon. La seconde partie fait intervenir le « monde réel », en l’occurrence les habitants du petit village menacés par les inondations. À chaque page, Cothias nous donne à réfléchir, à repositionner nos conceptions de l’existence, du potentiel psychique de l’Homme et introduisant un concept de déluge.
La clinique du docteur Eon est une superbe variation sur le thème des diverses réalités avec une chute quelque peu singulière.
Serge Perraud nooSFere 28/04/2008
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