Je m'étais dit que je parlerais un jour de Lewis Trondheim dans Bifrost. Sacré challenge. Et voilà que paraît un album qui m'a fait poiler et qui ressort du créneau médiéval fantastique. Tout ça pour un numéro de Bifrost fortement orienté heroic fantasy. Alors je ne vais pas me priver. Lewis Trondheim est un des fondateurs de l'Association, éditeur et groupement d'auteurs qui propose depuis 1990 une bédé alternative, inventive et originale, en marge des grosses machines éditoriales. Au sein de l'Association, Trondheim se lance dans la production effrénée de récits qui se démarquent par un humour lucide et un graphisme très personnel, sobre, faussement maladroit, évoquant le dessin d'enfant. Lewis Trondheim devient une sorte de pape de l'underground BD avant que le succès (mérité) ne le rattrape. Sa série la plus connue, Lapinot, est publiée chez Dargaud, mais on trouve du Trondheim un peu partout (l'Association, Cornélius, Autrement, Lézard, Le Seuil, Rackham, Delcourt, les Inrockuptibles...) Pour Donjon, Trondheim s'est associé avec un autre membre de l'Association : Joann Sfar dont on a parlé pas plus tard dans que dans le dernier numéro de Bifrost. On notera que « textes et dessins » sont signés des deux auteurs. Sfar est lui aussi dessinateur : les deux complices ont dû oeuvrer simultanément au scénario et à sa mise en image, outrepassant l'habituel ligne de démarcation scénariste/dessinateur. Mais bon, le dessin ressemble quand même bougrement à du Trondheim, et le scénario à du Sfar, un Sfar qui persiste dans un créneau apparemment porteur : la parodie de jeu de rôle. (Ainsi la série Troll, scénarisée par Sfar fait, elle aussi, une exploitation décalée des poncifs du jeu de rôle : donjons, dragons, aventuriers, portes, trésors... — cf. Bifrost 08). Or donc jadis existait un donjon très prisé des aventuriers car fort bien pourvu en trésors et monstres gluants (nains tueurs, trolls, spectres, champignoux...). Une telle réussite attirant naturellement les convoitises, le gardien du donjon eut tôt fait de se prémunir d'une bande de pieuvres mangeuses d'âmes prêtes à lever une armée pour s'emparer d'un aussi tentant garde-manger. Les circonstances étant parfois fantasques, la mission de sauver le donjon fut confiée par erreur à un canard pleutre et naïf et non, comme cela était initialement prévu, au célèbre et redoutable Prince Ababakar Octopuce Sans Principauté qui Foule de Sa Sandale les Tombeaux des Rois... Coeur de canard, c'est une aventure désopilante et loufoque, agrémentée d'un texte décapant et de personnages pas piqués des vers : Marvin le croco volant végétarien, le canard Herbert Duc de Vaucanson, Alcibiade le voyant...Une bédé qui promet à tous un bon moment de rigolade et que l'on prescrira comme antidote à ceux qui abusent du jeu de rôle façon moi-voit-moi-tue, porte/monstre/trésor.
Eteyas Bifrost n°9 01/07/1998
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