Le titre m’a attiré sans que je puisse dire pourquoi. Une association d’idées, sans doute, qui me donnait à voir en même temps le mouvement artistique italien et une certaine conception de l’avenir. Cette association était soutenue par une lecture ancienne d’Olivier Paquet et une plus récente du Docteur Faust de Rodolphe (pour l’adaptation) et le R. Poïvet des Pionniers de l’espérance pour le dessin. Non, je ne fais pas un effet de pédanterie, j’explique et je cite des références que les auteurs qui avouent avoir travaillé cinq ans sur cet album doivent connaître. Puis la quatrième de couverture avec sa vignette en clin d’oeil à Albert Robida finit par me convaincre.
Imaginez un jeune italien, Luciano Salvatori, persuadé de son talent d’artiste, à Paris, en 1912. Il est présenté comme ambitieux, n’aimant les femmes que dans son lit. Il fréquente Apollinaire et Picasso. Il vivote avec Marie, une campagnarde, qui l’aime et travaille. Un marchand de tableaux le met en relation avec un certain M. Channar qui lui propose immédiatement un contrat. Luciano doit, en s’inspirant de Robida, fournir une centaine de pièces représentant une guerre future à la fois crédible et hallucinante (p.19). Un maladroit se prend les pieds dans un tapis et bouscule Luciano qui en brise son verre et tache de son sang le contrat. Il trouve vite l’inspiration. Il assiste en compagnie d’un ami peintre et de Marta, un modèle, au « Sacre du Printemps » qui scandalise. Le modèle s’avère plein d’initiatives galantes. Lorsque Luciano apprend que Marie est enceinte il la met dehors car elle refuse d’avorter... Marta vient lui proposer ses services. Luciano livre ses dernières pièces juste avant le 2 août 1914. C’est en compagnie d’Apollinaire et de Chirico qu’il apprend la déclaration de guerre contre l’Allemagne. Luciano se réfugie en Suisse et ce n’est qu’en octobre 1918, en compagnie de Tristan Tzara, qu’il voit des images de la guerre... Et entre un hommage à G. Grosz et un décor pour le cabinet du docteur Caligari, il vomit tout ce qu’il peut et décide de rentrer à Paris. Luciano tue Channar au moment où la guerre est finie...
Si je me suis permis de dévoiler la fin, c’est parce qu’à partir de la vision de la guerre, Luciano ne peut agir autrement. On reconnaîtra au scénariste un talent certain pour mêler finement fiction et réalité. Le même talent que l’on retrouve chez le dessinateur dont le trait, pour moi, proche de la ligne claire est volontairement brouillé par un encrage ou/et un coloriage en faux sépia qui organise les reliefs. Le tout est rehaussé par des cadrages et des organisations de pages (vignettes en majorité à coins ronds, comme sur les vieux postes de TV) bien adaptés au récit. Ajoutons-lui un talent de copieur de Chirico, Grosz ou Robida. Sachez apprécier avec enthousiasme.
Noé Gaillard nooSFere 07/11/2008
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