New York 1925. Frank, à la tête de son gang, détruit un bar qui appartient à Patrick. Sur le trottoir d’en face un homme passe, indifférent. Il lit, dans Weird Tales, l’histoire de Moksha écrite par Mary Clark. Celle-ci conte que, depuis la nuit des temps, les deux fils immortels du dieu Bhishma se livrent un combat sans merci. Arjuna est la force créatrice alors que Duryodhana incarne la violence et la destruction. Leur rivalité amoureuse, pour la belle Draupadi, attise encore leurs différents et alimente les sources de conflits. L’homme arrive dans son atelier. Il est peintre, obsédé par des images, images qui se retrouvent dans le récit du pulp. Draupadi a choisi Duryodhana. Celui-ci lui demande de retourner vers son frère pour le séduire, en faire son esclave et le trahir. Chez elle, Mary Clark rédige le chapitre 8 de sa saga, quand le téléphone sonne. C’est le rédacteur en chef de son journal qui l’appelle : « Juliette, je veux un papier sur l’escalade de violence pour le contrôle de l’alcool, au sein du clan McKeever. » En effet, deux hommes se déchirent depuis la mort du patriarche : Frank Satrani contre Patrick McKeever, son demi-frère, le premier accusant le second d’avoir assassiné leur père !
Cette rivalité entre deux frères, pour la suprématie du pouvoir ou pour l’amour d’une femme, se retrouve dans presque toutes les mythologies. Marco d’Amico a retenu la rivalité de deux divinités hindoues, des héros d’un des chants du Mahâbhârat, un des écrits fondamentaux de l’Hindouisme. Celui-ci, l’équivalent de la Bible des chrétiens, est une épopée contée en quelque 250 000 vers. Cette rivalité traverse le temps se retrouve dans l’Amérique du Nord, au plus fort de la prohibition. L’intérêt de cette histoire, au demeurant assez classique dans son sujet, réside dans le choix des réincarnations des personnages, et des liens qu’ils vont devoir entretenir en 1925. Le rythme du cadencement entre les deux époques est pertinent pour le développement des intrigues ancienne et nouvelle. La modernité des personnages est également un des atouts de cette tragédie moderne.
Roberto Ricci, qui avait déjà signé un dessin remarquable dans Les Ames d’Hélios, suit les traces d’un Grzegorz Rosinsky dans La Vengeance du comte Skarbek. Il s’essaye avec brio à la peinture directe et réalise de véritables tableaux. Il choisit une rupture totale entre les deux périodes, une rupture de style et de couleurs parfaitement maîtrisée. La partie du récit relevant de la légende est libre de tout encadrement, brillante, éclatante comme l’atmosphère dans laquelle doivent baigner les dieux. L’histoire contemporaine, au contraire, est froide ténébreuse, restituée dans un cadre pesant, avec des planches encadrées de noir. Il renforce ce côté ténébreux avec les ombres des montants des verrières, des fenêtres qui hachurent les vignettes. Dans les scènes d’action, il retranscrit fort bien la gestuelle et le dynamisme de s mouvements.
Frank, le premier volume de ce qui est présenté comme un diptyque, est très réussi par une mise en scène, par une mise en page, par une mise en couleurs particulièrement élaborées et soignées, par l’angle d’attaque novateur d’un thème classique.
Serge Perraud nooSFere 03/10/2008
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