Greg, avec plus de deux cent cinquante albums, est un des scénaristes les plus prolifiques de la Bande dessinée francophone. Son ouverture d’esprit, son art du dialogue, son sens de l’humour et des situations décalées lui ont permis d’aborder presque tous les genres.
     En 1964, il est aux commandes du journal Tintin et souhaite qu’une série de SF figure au sommaire. Greg se met au travail pour trouver un scénariste et un dessinateur. Pour le sujet, il se sent en verve car il se souvient avoir suivi avec intérêt, dans son enfance, les multiples aventures d’un certain Flash Gordon, ainsi que celles de Brick Bradford, devenu Luc Bradefer, en France.
     Trouver un dessinateur disponible est plus difficile. Il connaît, depuis le début des années 50, Eddy Paape. Ils ont travaillé dans deux studios voisins. Depuis, Greg a suivi avec attention ses dessins chez Dupuis, particulièrement les reprises de Jean Valhardi et Marc Dacier qui paraissent dans Spirou. Mais Eddy Paape, qui se remet en cause professionnellement, décline l’offre. Greg le convainc, cependant, en lui promettant une large autonomie dans la création.

     Luc Orient fait sa première apparition dans le numéro de Tintin du 17 janvier 1967. Les aventures s’enchaînent rapidement. Douze épisodes, sur les dix-huit que comptera la série, paraissent en moins de neuf ans.
     Le héros et son équipe sont largement inspirés de Flash Gordon. L’assistante Lora rappelle le personnage de Dale, la fiancée de Gordon et le Docteur Kala ressemble au Professeur Zarkov. Le tyrannique Sectan, qui opprime le peuple de Terango, n’est pas très éloigné du diabolique Ming.

     Les débuts, où le scénariste multiplie références et de clins d'œil à l’œuvre de ses inspirateurs,  sont conventionnels. L’auteur reconnaît d’ailleurs : « Ce n'était pas de la science-fiction, mais plutôt du «space opera», c'est-à-dire de la fiction intergalactique machin-chouette. » Toutefois, la littérature SF de cette époque traitait, elle aussi, de space opera dans la majorité de ses intrigues. L’aventure spatiale humaine débute. Le premier homme sur le Lune préfigure des voyages lointains. L’Homme rêve d’un avenir expansif.
     Mais, la suite des aventures prend une tonalité scientifique certaine. Greg prend le temps de lire de nombreux journaux spécialisés. Il y découvre des théories que son héros, qui est physicien, peut utiliser. Il aborde des domaines, des connaissances avancées et de théories que son imagination fertile extrapole. Ainsi, il approche les manipulations génétiques, la résurrection d’animaux préhistoriques, l’art de traverser la matière ou du conditionnement des foules…
     L’intégrale des aventures de Luc Orient est réunie en cinq albums. Dans le volume 4, l’auteur traite des décalages dans le temps, des effets de systèmes temporels différents, du voyage temporel et des conséquences de la raréfaction d’éléments de base indispensables à l’être humain, comme l’eau…

     Le premier épisode, L’enclume de la foudre est la suite de La porte de cristal, (contenue dans le Tome III de cette intégrale) A bord d’un vaisseau-continent qui fait route vers la planète Terango, via la Terre, le liquide potable devient un poison. Les machines de traitement de l’eau résistent aux examens. Le seul espoir est de rejoindre une île de l’espace. Roubak est la plus proche, mais elle est appelée L’Enclume de la foudre !

     Dans Le rivage de la fureur le vaisseau-continent poursuit sa folle équipée vers Terango, la seule planète où la vie des humains et des Dartz est possible. Cependant, l’installation sur cette terre pose de gros problèmes. La population, qui vit dans une atmosphère protégée depuis des générations, n’est pas préparée à un environnement nouveau. De plus, le temps ne s’écoule pas à la même vitesse entre le navire et le reste de l’univers… Que vont trouver les équipes d’exploration ?

     Hugo Kala s’ennuie après leurs dernières aventures et le retour pour ce voyage qui semble sans fin. « Opportunément » un sabotage, avec une hache, des circuits de distribution de l’atmosphère respirable, le mobilise. Il décide, pour éviter l’asphyxie de toute la population de retourner sur… Roubak, ultime espoir

     Caragal est le secret du diable, une bombe qui bouleverse toutes les données de la science…

     Greg, à la conclusion de chaque épisode, trouve une explication rationnelle à des phénomènes présentés initialement comme paranormaux. S’il s’amuse à mettre en place un contexte proche du fantastique et de l’ésotérisme, c’est pour mieux le démonter et laisser la place à des explications scientifiques. Pour lui, le Fantastique reste un outil pour faire monter la pression dans ses histoires, mais n'est jamais une fin en soi.

     Eddy Paape retrouve l’entrain du créateur et livre des vignettes superbes où éclatent des décors magistraux, un bestiaire au contenu très innovant et multitude d’objets futuristes. Il donne à l’ensemble un dynamisme et un réalisme de très bonne facture.

     La reprise des aventures de Luc Orient en Intégrales permet de renouer avec une série qui conserve un charme certain, même si certaines situations peuvent paraître « datées ». Au delà de la nostalgie pour une époque, c’est l’occasion de retrouver les phantasmes futuristes qui nourrissaient l’imaginaire dans les années 60-70. Greg était en prise directe avec les recherches et les découvertes scientifiques de cette période.

Serge Perraud          
nooSFere          
07/12/2008