En France, on connaît Saint Seiya avant tout par son adaptation animée, Les Chevaliers du Zodiaque, diffusée dans le Club Dorothée à partir de 1988. Malgré de sévères coupes dues à la censure et une traduction approximative des dialogues originaux (à un tel point que certains épisodes s'avéraient incompréhensibles), la série demeure encore aujourd'hui l'une des plus populaires auprès du public français, notamment grâce à son approche extrêmement originale de la mythologie grecque et ses manifestations théâtrales des sentiments les plus exaltés. Comme la plupart des dessins animés japonais, Les Chevaliers du Zodiaque s'inspire d'un manga publié en 1986. Malgré un dessin assez grossier au trait enfantin, ce dernier présentait un scénario imprégné de nombreuses références mythologiques et dont la profondeur prête encore aujourd'hui à l'analyse. Passés vingt ans, la saga compte maintenant pas moins de vingt-huit volumes, sans compter les quatre spin-offs tirés de la série régulière et ses innombrables produits dérivés.
Saint Seiya se déroule à la fin du vingtième siècle. Les dieux de la mythologie grecque se sont réincarnés en êtres humains, et chacun d'eux possède sa propre garde composée de « Chevaliers ». Ces hommes (nommés les « Saints », en version originale) sont formés depuis l'enfance à la maîtrise de leur « Cosmos », une force universelle qu'ils utilisent pour combattre et accomplir des prodiges. Lorsqu'ils ont terminé ce dur et cruel apprentissage, ils obtiennent une armure sacrée à l'effigie de la constellation à laquelle ils se retrouvent associés. Il existe, en tout et pour tout, quatre-vingt huit Chevaliers de par le monde (sans compter ceux hébergés par d'autres dimensions). L'histoire de Saint Seiya se concentre sur les Chevaliers d'Athéna, fille de Zeus, déesse de la guerre et de la sagesse (ce qui, a priori, paraît paradoxal). Traditionnellement considérée comme la déesse la plus proche des hommes, elle est également la protectrice des héros, même quand ils s'opposent aux dieux (cf. l'Odyssée d'Ulysse). Athéna s'est réincarnée en la personne de Saori, une charmante jeune femme aux cheveux mauves, et les Chevaliers désignés pour la servir se divisent en trois classes, selon leur puissance : les Chevaliers de Bronze, d'Argent et d'Or. L'intrigue s'intéresse tout particulièrement à cinq Chevaliers de Bronze, censés être parmi les plus faibles, donc : Seiya du Pégase, Shiryû du Dragon, Hyôga du Cygne, Shun d'Andromède et Ikki du Phénix. Ces personnages vivent de nombreuses aventures et gagnent en puissance au gré de leurs duels, où ils se retrouvent successivement opposés à des adversaires de plus en plus forts. Ces luttes héroïques sont toujours l'occasion de voir les Chevaliers martyrisés s'offrir en sacrifice au nom de leur déesse (d'où leur nom original de « saints »), pour finalement se surpasser et transcender leurs limites. Les plus puissants serviteurs d'Athéna, les Chevaliers d'Or, sont au nombre de douze et incarnent les signes du zodiaque. Ils occupent les « maisons » du Sanctuaire, lieu sacré situé en Grèce où vit l'incarnation mortelle d'Athéna. Lorsque débute la série, la déesse est encore un nourrisson et la personnalité maléfique du Chevalier des Gémeaux (qui est schizophrène, comme de bien entendu) usurpe secrètement la place du Grand Pope, chargé de diriger le Sanctuaire. Le côté sombre du Gémeau a tenté d'assassiner Athéna, mais le Chevalier du Sagittaire est intervenu à temps et s'est échappé avec l'enfant. Avant de mourir, il l'a ensuite confié à un touriste japonais et lui a fait promettre de consacrer sa vie à former des Chevaliers de Bronze, parmi lesquels figureront plus tard nos cinq héros. Bien des années après, ces derniers se rendront au Sanctuaire afin d'affronter les Chevaliers d'Or manipulés par le Grand Pope (le Chevalier des Gémeaux, donc), qui pensent toujours servir Athéna et considèrent le défunt Chevalier du Sagittaire et les Chevaliers de Bronze comme des traîtres. Après avoir élevé leur Cosmos et atteint le septième sens, les Chevaliers de Bronze réussiront toutefois l'impossible et parviendront à convaincre les Chevaliers d'Or de leur erreur, avant de sauver Athéna. La connaissance de ce chapitre (dit du « Sanctuaire ») est primordiale pour comprendre l'Épisode G, dans la mesure où cette préquelle nous propose de faire la lumière sur les événements précédant la Bataille du Sanctuaire.
L'Épisode G peut être considéré comme un « spin-off » de la série basé sur les racines de la mythologie grecque, et inspiré de sa genèse. A l'origine du monde, avant les dieux, le Ciel (Ouranos) donna naissance à la Terre (Gaïa), et les deux s'accouplèrent pour donner naissance à douze Titans. Gaïa maltraitant sa femme, l'un de ses enfants (Cronos) le terrassa pour prendre sa place. Ensuite, Ouranos et Cronos créèrent les premiers dieux et l'un d'entre eux, Zeus, de la même manière que le Titan avait occis son père Gaïa, défia Cronos et l'emprisonna pour l'éternité. Dans ce nouveau chapitre, nous apprenons que la personnalité maléfique du Grand Pope était en fait manipulée par le Titan Cronos, dont la geôle de foudre créée par Zeus ne cesse de s'affaiblir avec le temps. Pressé de s'échapper afin de reprendre le contrôle du monde, il réveille un à un ses frères, les Titans, pour l'aider dans sa tâche. Le héros, puisqu'il en faut un, est Aiolia : Chevalier du Lion, redoutable combattant au tempérament fougueux, il est également le frère du Chevalier du Sagittaire, considéré comme un félon depuis le jour où il s'est enfui du Sanctuaire. En effet : le Grand Pope, après avoir essayé de tuer Athéna, a fait croire aux Chevaliers d'Or que le Chevalier du Sagittaire était l'auteur de la tentative d'assassinat (alors qu'en réalité, c'est un héros, puisqu'il a sauvé Athéna en sacrifiant sa vie : vous suivez ?). Au Sanctuaire, tout le monde voit donc en lui un paria et son frère, le Chevalier du Lion, souffre de cette réputation dont il retire de la rancune et de l'aigreur. Comme nous l'avons vu, les ennemis, puisqu'il en faut aussi, sont incarnés par les seuls êtres aptes à se mesurer aux Chevaliers d'Or : les Titans, aidés des géants et des créatures mythologiques réveillées par Cronos ; autrement dit, des êtres aussi puissants que les dieux puisqu'ils existaient avant Zeus lui-même : vous imaginerez sans peine les affrontements dantesques impliqués par les acteurs en présence. Cette préquelle, dont le scénario est assuré par l'indétrônable Masami Kurumada, créateur de Saint Seiya, se voit attribuer un nouveau dessinateur ; le scénariste, jadis dessinateur de son œuvre, laisse la place à un jeune mangaka au style particulier, Megumu Okada. Au premier coup d'œil, son trait peut surprendre : corps distordus aux proportions étranges, visages androgynes, constructions des images difficiles à suivre d'une case à l'autre... Pourtant, au final, ces choix audacieux s'avèrent payants. Le dessinateur semble en effet déterminé à assumer l'héritage grec du manga, en représentant ses personnages comme les héros mythologiques dont ils sont les successeurs : plutôt que de nous imposer des masses musculeuses, il préfère ainsi faire de ces personnages des êtres aux corps élancés, presque féminins, dont l'apparente androgynie cache une puissance redoutable. En outre, la modernité de son style apporte un sérieux coup de jeune au manga.
Quelques critiques s'imposant toutefois, commençons par le dessin, puisque nous venons d'aborder la question : son ton particulièrement sombre, guère mis en valeur par le choix d'un papier non lisse, et la minuscule taille de certaines cases rendent le tout parfois assez pénible à décoder, notamment lors des combats où la pliure centrale ne nous aide pas non plus à discerner les grandes cases étalées sur deux pages. Nul doute qu'un style si détaillé aurait mérité un format plus grand, avec un contraste plus clair et sur un papier différent, qui aurait mieux rendu justice au travail de l'artiste. Ensuite, l'Épisode G souffre d'un problème récurrent dans Saint Seiya : on y répète souvent la même chose. Les duels s'enchaînent et finissent par se ressembler, les combattants ressassent encore et encore leur philosophie (ici, on finit par être un peu lassé de savoir que les mortels souhaitent être maîtres de leur destin sans être manipulés par les dieux, passée la cinquième redite). Toujours est-il que, malgré ces défauts, cette préquelle ne se résume pas à une exploitation de la franchise Saint Seiya à l'aide d'une histoire superficielle : sa façon adroite d'aborder les racines de la mythologie grecque pour la mêler avec cohérence aux multiples intrigues déjà développées dans la série est remarquable. En outre, ces combats nous donnent l'occasion de voir approfondir et développer les personnalités des Chevaliers d'Or (encore très jeunes ici), personnages fascinants que nous n'avons jusqu'à présent eu l'occasion de connaître qu'à travers la Bataille du Sanctuaire, où ils ne donnaient pas la pleine mesure de leur puissance. Cette fois, dans la grande tradition des récits mythologiques, nous découvrons avec émerveillement ces héros (au sens originel du terme) affronter les dieux pour reprendre le contrôle de leur destinée et, comme de coutume dans la série, les rebondissements et autres retournements de situation font toujours autant plaisir à découvrir.
Florent M. nooSFere 20/10/2008
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