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Album
Le Chevalier d'Éon - Tome 1
Série : Le Chevalier d'Éon    tome 1  Album suivant

Scénario : Tou UBUKATA
Dessins : Kiriko YUMEJI
Traduction : Laurent LATRILLE

Asuka , coll. Seinen, février 2008
 
Broché avec jaquette
Format 190 x 130
192  pages  N&B
ISBN 9-782849-65-315-9
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Quatrième de couverture
     Paris, 1753. Des poètes enlèvent de jeunes vierges et utilisent leur sang pour composer leur vers. D'Éon de Beaumont, agent secret au service de Sa Majesté, enquête sur ce phénomène secondé par sa sœur, qui peut posséder son corps et son esprit... Et quand la fille de Louis XV est touchée par la malédiction, la traque se fait plus intense... Quels sont ces vers mystérieux qui lui apparaissent sur le corps ? Pourquoi ne peut-elle plus que prononcer le mot « palms » ?
 
Critiques
     Cela ne vous aura pas échappé : depuis quelques temps déjà, disons depuis les années quatre-vingt-dix et le phénomène Dragon Ball Z, la culture japonaise (et plus particulièrement sa pop culture) est plus que jamais plébiscitée par une grande partie de la jeunesse française, des adolescents accrocs à Naruto aux trentenaires ayant grandi avec Goldorak ou Albator ; rappelons simplement qu’à l’heure actuelle, la France reste le plus gros consommateur de mangas après le Japon. Ce que l’on ne sait pas forcément, c’est qu'à l'inverse, il en est de même pour les Japonais qui, non seulement, et depuis bien plus longtemps, se passionnent pour notre culture contemporaine, mais aussi pour tout un pan de la culture française classique que nous délaissons parfois nous-mêmes.

     Si Les Trois mousquetaires ou Les Misérables vous évoquent des œuvres poussiéreuses et ennuyeuses (ce en quoi vous auriez tort), sachez que ces classiques représentent le summum de l’exotisme pour les Japonais : pour peu qu’il soit un minimum ouvert d’esprit, l’être humain est souvent fasciné par ce qui lui paraît étrange et lointain, or l’Histoire de France est aussi éloignée de la culture et de la mentalité japonaises que peut l’être le Japon féodal peuplé de samouraïs et de ninjas pour nous autres. En outre, les Nippons associent notre pays à une certaine image romantique, élégante et sensuelle un peu désuète (bien différente de la France tel qu’elle est réellement aujourd’hui, mais c’est un autre débat) et l’évocation de notre pays évoque généralement pour le Japonais moyen toute une série de clichés qui, s’ils prêtent à sourire pour nous, le feront rêver (châteaux, dandys, belles blondes, haute couture, picrate et cie...) ; ceci dit sans aucune condescendance, puisque l’image que le Français moyen peut avoir du Japon actuel est sûrement plus erronée encore...

     Tout cela pour en venir à ce Chevalier d’Éon, inspiré de Charles de Beaumont, célèbre espion travesti au service de Louis XV (et enterré au Middlesex, ça ne s’invente pas). Sur un plan historique, Le Chevalier d’Éon s’avère relativement sérieux dans ses recherches documentaires étonnamment précises (peu de Japonais doivent connaître Madame de Pompadour !), mais aussi dans son superbe graphisme aux accents gothiques assuré par la jeune et jolie Kiriko Yumeji : contexte politique, architectures et costumes sonnent justes. L’intention et l’effort de documentation fournis par les auteurs sont louables mais pourtant, disons-le, car cela n’a rien de dramatique (nous avons affaire à un divertissement) : la perception de l’Histoire française par un Japonais donne parfois lieu à quelques décalages pas bien méchants. Par exemple, on n’imagine pas un seul instant que le Chevalier d’Éon puisse s’adresser au Roi comme il le fait (on en a embastillé pour moins que ça !).

     Admettons-le : quand les artistes japonais s'intéressent à l’histoire de France et à sa littérature, le résultat s’avère souvent intéressant (cf. Jeanne d’Arc, Pierre le Mercenaire, Lady Oscar, Remi sans Famille...). D’ailleurs, ce récit véridique d’un agent secret déguisé en femme pour mener ses instigations avait toutes les raisons de finir dans les pages d’un manga étant donné son contexte culturel français, mais aussi en raison de son thème qui aura déjà fasciné bon nombre de mangakas : l’androgynie et le travestissement, objet de fascination au Pays du Soleil Levant et présent dans bon nombre d’autres mangas (Saint Seiya, Ranma ½, et... Lady Oscar). Le Chevalier d’Éon appartient donc au genre du « manga d’époque d’inspiration culturelle française » (que je viens d’inventer pour l’occasion), mais flirte également avec le thème de l’ambiguïté sexuelle courant dans la pop culture japonaise. Pour couronner le tout, histoire d’assaisonner une histoire qui ne manque pourtant pas de sel, on précisera enfin que l’œuvre navigue dans le fantastique le plus décomplexé (gardons en tête que nous sommes dans un manga, et non dans un ouvrage scolaire).

     Ainsi, dans un registre plus inhabituel pour un genre si classique, le Chevalier d’Éon enquête, par ordre direct du Roi, sur une série de meurtres provoqués par des poètes avides de sang de vierges utilisés pour écrire leurs poèmes. Éon, membre dilettante des forces de police à la personnalité schizophrène « possédé » par l’âme de sa sœur défunte, se déguise la nuit en jeune femme pour affronter ces monstres et livrer ensuite ses rapports au Roi. Nous découvrons alors que l’intrigue, fort bien troussée, est en vérité bien plus profonde qu’il n’y paraît puisqu’elle préfigure la chute de Louis XVI et l’avènement de la Révolution à travers la circulation de poèmes contestataires, le tout sur fond d’ésotérisme et de sciences occultes (ici, les psaumes possèdent les auteurs et les transforment en gargouilles !).

     En conclusion, Le Chevalier d’Éon se révèle une bonne surprise, un drôle d’OVNI au contexte familier, pour nous autres Français, mais nimbé d’un parfum exotique tout droit venu d’Asie. Certains artistes français s’étant mis en tête de concevoir des mangas, on peut imaginer sans peine qu’à leur lecture, en découvrant leur culture répercutée en un écho étranger, les Japonais doivent éprouver le même curieux sentiment mi-intrigué mi-amusé que nous autres devant cet ouvrage fort recommandable.

Florent M.          
08/11/2008          


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