Les Élus présente une particularité assez surprenante, mais de plus en plus répandue dans les comics : son scénariste est un écrivain. Plus étonnant : si le nom de cet auteur (David Morrell) ne vous dit rien, sachez qu'il est le père de Rambo, personnage qu'il créa dans les pages de son roman First Blood. Si vous l'avez lu, vous n'êtes pas sans savoir qu'à la base, First Blood relate un choc générationnel opposant deux hommes, un vétéran de la guerre de Corée et un rescapé du Vietnam, le premier (un shérif) ayant l'âge d'être le père du second (Rambo). Le livre fut également l'occasion de revenir sur le sort réservé aux hommes ayant vécu l'enfer pour leur pays, mais oubliés par celui-ci. Morrell a donc une vision avant tout humaine des soldats, et son discours n'est pas politisé : seul le point de vue du combattant abandonné l'intéresse. Il est nécessaire d'être conscient de tout cela avant de se pencher sur cette mini-série, composée dans le cadre des fins hypothétiques des super-héros Marvel, et réunie en album par Panini.
Les Élus se déroule principalement dans un pays du Moyen-Orient en guerre avec les USA (faites votre choix). Nous suivons le parcours d'un jeune soldat qui, au fil du temps, en est venu à se demander ce qu'il fait là, si loin de chez lui, après s'être engagé sur un coup de tête suite aux attentats du onze septembre. Isolé, désespéré, cet homme est au bout du rouleau, quand un allié inattendu se manifeste à lui... Captain America, plongé dans le coma suite à une dégénérescence du sérum qui fit de lui un super-soldat dans les années trente (son origine est d'ailleurs relatée en flash-back, dans une version légèrement modifiée, d'après mes souvenirs), lui apparaît sous forme spectrale pour lui redonner courage depuis son lit de mort. L'ensemble de l'intrigue se résumera ensuite à mettre en scène l'incarnation de l'héroïsme et du courage que représente Cap', et qu'il souhaite transmettre à un maximum de personnes (les élus du titre) avant de succomber. Une transmission de flambeau, en somme.
Vous comprenez maintenant la raison des précisions apportées en début de chronique : Les Élus, de notre point de vue, peut facilement passer pour un plaidoyer patriotique pro- USA ; le personnage de Captain America est d'ailleurs lui-même sujet à toutes les mauvaises interprétations depuis sa création. Ceci étant dit, on peut tout d'abord noter que le procédé du « guide spirituel fantômatique » n'est pas nouveau dans les comics : souvenez-vous des apparitions de John Wayne au petit Jesse Custer dans Preacher, destiné à exhorter sa volonté et son courage. Bien sûr, le contexte est ici différent, mais la démarche de l'auteur est la même : utiliser un mentor qui permettra à l'un de ses personnages de dépasser ses limites à travers une sorte de quête initiatique, qui fera de lui un héros (bien que, dans le cas de Preacher, il s'agisse plutôt d'un anti-héros).
Contre toute attente, mais fort logiquement au regard de ce que fut initialement Rambo, Morrell prend ainsi le contre-pied de ce que l'on pouvait attendre de lui en nous livrant un récit avec relativement peu d'action, en tout cas de la part de son « héros » (qui n'est finalement pas celui que l'on croit), et en se concentrant sur la nature même de l'héroïsme. De cette façon, il revient au principe même, à la raison d'être de Captain America, personnage « simplement » doté d'une force, d'une agilité, d'une endurance et de réflexes hors du commun, mais sans pouvoir extravagant : chez les super-héros, l'héroïsme n'est pas seulement une question de pouvoirs, et Cap' s'est toujours voulu un hommage aux GI's et aux sans-grade de la Seconde Guerre Mondiale. Alors certes, l'ennemi est caricatural, on ne développe jamais ses motivations pour mieux rester du point de vue américain, mais le théâtre des opérations n'est ici qu'un décor, un arrière-plan : encore une fois, le scénario n'est pas politisé. Seul compte le dépassement de soi (rappelons que Morrell est un grand admirateur des thèses du Héros aux Mille et Un Visages, célèbre livre de Joseph Campbell sur le parcours initiatique du héros).
Il ne se passe donc pas grand chose dans Les Élus, dont le seul super-héros se réduit à un spectre, mais le récit se révèle pourtant souvent poignant, notamment lorsque la silhouette de Cap' se superpose à celle de ce soldat lambda pour lui faire accomplir des prodiges. C'est bien connu, les légendes ne meurent jamais...
Florent M. 14/01/2009
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