Umbrella Academy est un comic-book surprenant, déroutant et jouissif, qui vous évoquera sûrement quelques œuvres de référence mais sans pour autant ressembler à quoi que ce soit de connu. Nous assistons ici à la naissance simultanée de quarante-trois enfants aux capacités étonnantes (comme dans Rising Stars), pour la plupart recueillis par un homme décidé à composer une équipe de super-héros (référence aux X-Men). À la mort de leur père d'adoption, les enfants se retrouvent vingt ans plus tard à l'occasion de son enterrement. C'est alors que l'un d'entre eux, disparu depuis ces vingt dernières années après une fugue dans le futur (il est capable de voyager dans le temps), revient leur annoncer l'imminence de la fin du monde : le groupe de super-héros dispose de trois jours pour l'empêcher (cf. Watchmen).
Tout cela nous est dévoilé en une poignée de pages, l'occasion pour l'auteur de démontrer un talent rare dans la maîtrise de la narration et de l'ellipse par l'enchaînement de cases aux images explicites en parvenant à nous exposer son décor, ses personnages, ses thèmes et ses enjeux à une vitesse étonnante. Dans le même temps, en jouant avec une déconcertante facilité sur le premier et le second degré (naïveté du fond dans le plus pur style comic-book old school associée à un schéma narratif moderne), la BD parvient à se démarquer de ses références écrasantes en inondant le lecteur de scènes surprenantes et originales sans lui donner le temps de souffler tout en imposant un style propre, pour ensuite relier tous ces éléments d'une façon cohérente : le coup des enfants mutants éduqués dans une école de « jeunes surdoués » et des super-héros sur le retour, on nous l'a déjà fait, pensez-vous sûrement ; seulement, le scénariste a l'intelligence de mettre en évidence ses inspirations dès les premières pages pour mieux les détourner ensuite, et raconter son histoire.
En découvrant cette folle accumulation d'idées géniales et cette narration éclatée (illustrées par un dessin au trait assez proche du style de Mignola), on ne peut s'empêcher de se demander si cette audace n'est pas autorisée par l'innocence du novice (en l'occurrence : Gerard Way, un chanteur de rock étranger au milieu des comics), qui ose à peu près tout sans jamais se soucier de respecter les conventions du genre. Dans Umbrella Academy, les héros sont des hommes-singes qui vivent sur la Lune, des tueurs arrogants armés de couteaux ou des enfants à l'esprit d'adulte pour être restés trop longtemps dans les ruines du futur. Les chapitres sont clos par des statistiques sur les blessés des fêtes foraines, ou par des devinettes. Le lecteur, en état de surprise constante, doit rester vigilant pour suivre l'histoire du groupe et saisir les relations liant ou opposant ses membres, en basculant parfois de leur enfance à leur vie d'adulte au détour d'un épisode.
Vous l'aurez compris, Umbrella Academy m'a bluffé. En vérité, je n'ai pas été aussi étonné par une approche aussi originale d'un groupe de super-héros depuis la reprise des X-Men par Grant Morrison ou de X-Force par Peter Milligan. UA fait partie de ces œuvres qui méritent plusieurs lectures, et dont la fin ne peut que nous amener à nous poser la question : « Mais comment diable vont-ils pouvoir imaginer la suite ? ». Au rayon des reproches, on notera juste que l'histoire va un peu vite en besogne en expédiant les rebondissements vers une fin du monde précipitée, et que le fil de l'histoire n'est pas toujours évident à suivre de par sa richesse (on frôle parfois l'indigestion). Mais vous pouvez être sûr que le prochain album approfondira et éclaircira cet univers au potentiel extrêmement riche, en partant dans des directions toujours plus folles.
Florent M. 29/03/2009
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