The Goon est une brute épaisse, dont l'envahissante casquette masque les yeux sans pour autant parvenir à cacher son épouvantable laideur : dents proéminentes, face ravagée par des cicatrices. Un personnage qui n'est pas sans rappeler le Marv de Sin City, lui-même moche et costaud, d'autant qu'ils ont en commun une certaine tendresse et un sens moral très relâché. A ses côtés, Franky, un nabot cruel aux yeux sans iris ni pupilles, demeure perpétuellement surexcité et prêt à se battre, sans aucune censure. Et autour d'eux, gravitent des morts-vivants, un shérif nécrophage, un savant fou, un phoque médium, des loups-garous, un prêtre-zombi, un robot géant, des « bug-eyed monsters » plein de tentacules sortis tout droit de l'âge d'or de la SF, un pseudo godzilla ne parlant qu'espagnol, des vampires, des poissons humanoïdes, etc. etc.
Le Goon et Franky vivent d'expédients et de rackets. Ils n'ont aucun scrupules à tabasser des mômes ou des octogénaires cul-de-jatte, ni à pulvériser quiconque avant même de savoir à qui ils ont affaire. Leur philosophie de vie semble se réduire à « cogner avant d'être cogné ». Ces personnages primaires et bas du front pourraient n'avoir aucun intérêt. En réalité, Eric Powell force le trait jusqu'à la démesure, jusqu'à l'absurde, et nous donne là un cocktail hautement jubilatoire où l'humour noir assumé fait mouche grâce à des dialogues aussi percutants que les poings du Goon, à de courts scénarios abracadabrants, à une épatante galerie de monstres loufoques et bien sûr à un dessin virtuose.
De plus, Powell parsème l'album de pastiches de pubs déjantées, d'illustrations aux styles variés, de couvertures parodiques de pseudo comics et même de saynètes où il se moque allègrement de la critique et de son Eisner Award reçu en 2004 — catégorie « Meilleure histoire », avant d'obtenir aussi ce prix dans les catégories « Meilleure série » et « Meilleure série d'humour » en 2005 : « — Le symbolisme du crétin qui défèque est clairement l'affirmation du complexe d'infériorité de Powell. Il se ridiculise pour ce qu'il perçoit comme une reconnaissance imméritée. Quel génie ! — Pas possible. Parfois une vanne-du-débile-qui-joue-avec-sa-propre-crasse-et-se-prend-une-balle-dans-la-poire est juste une vanne-du-débile-qui-joue-avec-sa-propre-crasse-et-se-prend-une-balle-dans-la-poire ! On se fout de votre symbolisme branchouille ! Allez, cassez-vous ! ! — Ah ! Il pointe sa représentation phallique de la mortalité de l'homme sur nous ! Cours ! »
A signaler enfin une guest star en la personne de Hellboy qui s'invite le temps d'un épisode mémorable, où le diable rouge passe aux yeux du Goon pour un simple d'esprit car il ne s'intéresse pas à l'argent. Plusieurs planches de cet épisode sont d'ailleurs dessinées par Mignola lui-même.
Bref, si vous appréciez le trash, le politiquement incorrect, le nonsense, le foutraque, l'humour ravageur et la parodie frappadingue, The Goon est ce qu'il vous faut !
Pascal Patoz nooSFere 01/11/2006
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