Qu'une voix vous réponde au téléphone alors que, chez vous, vous venez de former par erreur votre propre numéro, voilà qui est déjà inquiétant. Surtout si cette voix tient des propos étanges depuis un pays où il ferait toujours nuit. Que la femme que vous avez tuée quinze ans plus tôt réapparaisse, inchangée, voilà qui est encore plus déstabilisant. Que vous la surpreniez en compagnie de vous-même, lorsque vous étiez un adolescent transi d'amour, voilà qui relève du cauchemar éveillé. La réalité s'est-elle détraquée ? Avez-vous basculé dans la folie ?
Ce serait un moindre mal.
En fait, sans vous en apercevoir, vous avez pénétré dans l'univers terrifiant des Pourvoyeurs...
Un jeune homme, Alain Heurtot, amoureux fou d'une jeune femme rencontrée dans un bois, la tue en même temps que celui qu'il prend pour son amant, puis va se constituer prisonnier. Surprise générale quand, à l'arrivée de la police, on ne découvre aucun des deux cadavres. Et l'assassin, ayant été examiné par de savants psychiatres, est temporairement interné.
Nous le retrouvons une quinzaine d'années plus tard, écrivain, mais pensant toujours à une de ses victimes – la femme. Sujet à des hallucinations auditives et visuelles, il retourne un jour sur les lieux du crime en croyant suivre l'ombre de la bien-aimée et revit la même scène, à cette différence près que l'homme dont il avait été jaloux n'est autre que lui-même, l'assassin étant toujours l'Alain Heurtot d'il y a quinze ans. Et il se retrouve dans l'autre monde ou, plus exactement, dans un des autres mondes, celui-là étant particulièrement réservé aux assassins et aux suicidés (or, de la façon dont le second drame s'est déroulé, il est les deux en même temps). Il parviendra néanmoins à tromper le maître des lieux, à revenir sur terre à une période antérieure à son premier crime et, finalement, à conquérir la femme qu'il aimait.
Il y a du bon et du moins bon dans ce roman un peu touffu et pas mal compliqué par moments. Les scènes dans l'autre monde sont assez réjouissantes – qu'on me pardonne cette expression – mais la philosophie de l'ensemble (si philosophie il y a, mais je crois qu'il y en a une certaine dose) est assez nébuleuse. L'angoisse est dans l'ensemble bien maintenue, mais je crains que l'effort cérébral demandé au lecteur ne nuise au roman auprès du public auquel il est destiné.
Igor B. MASLOWSKI Première parution : 1/12/1957 Fiction 49 Mise en ligne le : 16/9/2025