Les chapitres qui constituent cet ouvrage sont issus, pour la plupart, de matériaux provenant de communications et de publications en revues, dont ils constituent une mouture, nouvelle à bien des égards.
Quatrième de couverture
Lorsqu’on pénètre dans les territoires que couvre la littérature fantastique, on s’aperçoit qu’ils sont composés de vastes domaines, hétérogènes aussi bien dans l’espace que dans le temps. On en suivra les traces depuis les manoirs gothiques, contemporains du romantisme et de la première révolution industrielle, qui inaugure l’idée de “modernité”, et entraîne la première des “crises du sens” que l’Occident connaît, jusqu’aux romans d’horreur moderne.
En effet, lorsque les choses et les événements sont perçus comme incompréhensibles, la réalité vécue est de plus en plus ressentie sur le mode du mal-être. Une dimension fantastique du rapport de l’homme au monde tend alors à s’imposer, qui fait intervenir des sensations de malaise, de peur, d’effroi, de panique, d’angoisse.
Au cœur des récits fantastiques se trouve le désir de témoigner de cette expérience traumatisante qu’est la rencontre avec l’inconcevable. Le texte fantastique rend compte de cette impression — peut-être paranoïaque — où l’on ressent obscurément que la réalité que l’on vit, en pensant la maîtriser, est en fait manipulée par des forces, ou des “choses” présentes mais mystérieuses. D’où l’angoisse, la peur, et le surgissement des monstres, qui en découle.
Avec des moyens et dans des contextes différents, c’est ce qui relie les châteaux gothiques aux friches industrielles, Lovecraft à Cortàzar, les vampires de Rice aux perversités de Crash !
Critiques
L'imposante étude de Roger Bozzetto est sous-titrée « Des romans gothiques aux récits d'horreur moderne ». Elle explore, en quelque 230 pages, toute la littérature fantastique. J'ai bien dit toute, car tel est l'intérêt particulier du livre de Roger Bozzetto : il ne se limite pas, en effet, aux grands noms connus de notre littérature occidentale, de Poe à King, mais commente, en explorateur avisé, des volets peu parcourus ou même tout à fait inconnus. Et c'est précisément cette curiosité qui fait l'intérêt de cette parution, qui se consacre à l'« espace où se déploient les fantastiques s'étendant aujourd'hui de l'Amérique Latine à l'Extrême-Orient ». Partant du roman gothique (Walpole, Radcliffe), ancêtre du genre, il aboutira à Clive Barker ou Anne Rice, mais en empruntant des détours extrêmement passionnants. Par le roman-feuilleton tout d'abord, puis par des auteurs moins parcourus chez nous, tels Ambrose Bierce, Marcel Béalu ou Henry James. Quittant alors notre continent, et sous l'égide de la Kadath de Lovecraft, Bozzetto aborde ses rêves-rivages. La terre latino-américaine, celle du « real maravilloso », (y aurait-il une relation avec le « réalisme magique » de « notre » Hubert Lampo, écrivain flamand de très grande valeur ?) de Borgès à Cortazar, en passant par Bioy Casares, Ocampo, Garcia Marquez ou Hernandez, trop peu lus chez nous. Puis il s'envole vers une tradition totalement inouïe, celle de l'Empire du Milieu. Le surnaturel chinois, tourné vers le conte et l'onirisme, surprendra assurément beaucoup de lecteurs ! Retour vers des contrées familières avec l'évocation d'amours maudites (Ligeia de Poe, La Ville morte de Rodenbach) et de personnages de vampires, pour terminer par l'horreur moderne, couplée à l'érotisme (Crash ! de Ballard en est l'exemple archétypal). Conclusion ambitieuse dans laquelle Bozzetto poursuit les réflexions des Todorov, Vax, Belavan ou Rushdie sur la « fantasticité ». Notons enfin l'excellence de l'appareil critique, digne de ce bel ouvrage universitaire.