FLAMMARION
(Paris, France), coll. Imagine n° (11) Dépôt légal : mars 2000, Achevé d'imprimer : février 2000 Première édition Roman, 180 pages, catégorie / prix : 80 FF ISBN : 2-08-067876-0 Format : 13,0 x 20,0 cm Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
En même temps que Flaubert, Bouvard et Pécuchet ont donc cessé de vivre... Mais on ne peut s'empêcher de penser à ce qu'aurait pu être la suite de leur histoire...
Après avoir exploré tous les domaines connus du savoir, où leurs expériences s'étaient chaque fois soldées par des échecs, pourquoi ne se seraient-ils pas tournés vers ces sciences qu'on appelle maudites, occultes ou parallèles selon ses convictions ? Oui, imaginons qu'un hasard goguenard ait réuni chez eux trois maître en la matière : Allan Kardec pour le spiritisme ; Frédéric Moreau, échappé à son éducation sentimentale pour se consacrer à la tératologie ; et enfin, le mystérieux James Horlan, voyageur temporel échoué à Chavignolles...
Seulement voilà, il en est des passions scientifiques comme des passions amoureuses : elles ont tendance à tourner au vaudeville. Sauf que les portes des placards ne s'ouvrent plus sur des amants cachés mais sur des mondes interdits.
René Reouven est un des grands de la littérature criminelle d'expression française (il s'est notamment imposé comme un des maîtres du récit apocryphe avec ses Histoires secrètes de Sherlock Holmes). Il est aussi l'auteur de plusieurs livres remarqués relevant de la science-fiction ou du fantastique. Mais quel que soit son terrain, il sait comme nul autre entrecroiser jusqu'au vertige les fils de l'Histoire et ceux de la Littérature.
Critiques
On pourrait récriminer contre ce court texte, où plus de trente chapitres multiplient les pages blanches. Mais Reouven y déploie son talent et sa culture. Les deux nigauds du titre, pris juste après les notes laissées par Flaubert pour la fin du roman, qu'il n'a jamais rédigée, se mêlent désormais de sciences occultes avec des résultats aussi encourageants que dans le livre originel, et quelques personnages secondaires, qui y étaient déjà leurs comparses, se voient adjoindre Frédéric Moreau, de L'Éducation sentimentale, promu docteur, ce qui met la puce à l'oreille quant à son destin ultérieur, le « Horla » de Maupassant et Fitz-James O'Brien, auteur d'une nouvelle qui préfigure ce dernier, un prétendu Phileas Fogg qui est manifestement le voyageur de Wells et dont on apprend pour l'occasion le véritable nom, le spirite Allan Kardec, les spectres ectoplasmiques du philosophe Buridan et de l'alchimiste Nicolas Flamel, le souvenir de Mary Shelley ou d'E.T.A. Hoffmann, et de quelques autres dont probablement Madame Bovary. Bref, on rencontre du monde dans la campagne normande et il s'y passe des choses, y compris un paradoxe temporel. On apprend même l'identité du Masque de fer et l'origine de la Bête du Gévaudan. De quoi réconcilier le flaubertien, l'amateur de SF et celui de mystères au kilo et d'énigmes populaires, ceci par la magie de ce qui n'est pas tout à fait du steampunk ni de la rétro-fiction, mais qui se situe dans ces limbes où le XIXe siècle littéraire est réputé réel et où les personnages se mêlent aux écrivains et à leurs contemporains, tout comme par exemple dans Les Grandes Profondeurs, du même auteur (Denoël, 1991). Tout cela est très référentiel, très drôle, plein d'une honnête et indolore érudition, et en même temps si vif, si brillant, si rapide aussi, que cela pourrait en rendre acceptable une lecture « innocente ». Il a suffi au roman-feuilleton de faire un clin d'œil, et Lagarde et Michard sont devenus intelligents, ce qui n'est pas le moindre des miracles accomplis par ce sorcier de Reouven, dont on va finir par croire qu'il est lui-même une invention littéraire glissée dans notre vrai-monde-où-l'on-s'ennuie.
Après s'être projetées dans l'avenir, les littératures de l'Imaginaire n'en finissent pas de rêver le passé. La mode est au steampunk ou à l'uchronie, à la réinvention des siècles passés et en particulier d'un XIXème siècle sur lequel se cristallisent nombre de nos fantasmes. Avec Bouvard, Pécuchet et les savants fous, c'est à une sorte d'uchronie littéraire, c'est à dire fondée sur des personnages romanesques fictifs, que nous convie René Reouven.
Dans Bouvard et Pécuchet, Flaubert ne critiquait ni la science ni même le scientisme ambiant de son époque, mais simplement la sottise de ceux qui se croient capables de négliger la théorie et les longues années d'apprentissage pour s'attaquer d'emblée à une pratique mal maîtrisée. Il fustigeait aussi une fâcheuse tendance à accepter comme vérité tout ce qui est écrit, sans en vérifier soi-même le bien-fondé. La science aux mains des naïfs, même de bonne volonté, s'avère alors source de catastrophes.
Cette fois, Bouvard et Pécuchet ont décidé de délaisser les sciences reconnues pour s'occuper de surnaturel ou de sciences « parallèles », toujours dans la louable intention de servir l'humanité, mais évidemment sans aucune précaution. Les résultats ne seront pas tout à fait ceux escomptés, pour la plus grande joie du lecteur.
René Reouven nous offre ainsi une conclusion au roman inachevé de Flaubert, mais ce récit très court n'a pas la prétention d'apporter une morale ni de tirer une leçon. Il ne s'agit que d'une fantaisie guillerette et enlevée, où l'auteur s'amuse à faire se rencontrer plusieurs grandes figures : Allan Kardec, le fameux spirite ; Frédéric Moreau, le héros de l'Education sentimentale qui cherche ici à créer un loup-garou et qui, devenu docteur, pourrait se réfugier dans une île rendue célèbre par Wells ; James Horlan, un chrononaute britannique également tout droit sorti de l'œuvre de Wells et dont le nom pourrait avoir inspiré une célébrissime nouvelle à Maupassant ; ou encore le Masque de fer lui-même dont la véritable identité nous est enfin dévoilée…
Bourré d'astuces, ce court roman est fin, cultivé, intelligent, drôle et malicieux... Ce pourrait être une satire grinçante, pleine d'une ironie agressive et dévastatrice, mais Reouven a choisi le ton léger et frivole d'une comédie alerte. Un pur divertissement, mais de grande qualité, que l'on peut savourer même sans connaître l'œuvre de Flaubert.