Imaginons un vaisseau spatial. Depuis mille ans, il fonce en direction du paradis. A la quarantième génération, que sont devenus les passagers ? Ils ont oublié qu'ils étaient des hommes. Tous sauf un, et personne n'aimerait être à sa place.
Pas plus qu'à celle de l'écrivain qui n'a plus un sou pour faire réparer son narrateur électronique, à une époque où le stylo et la machine à écrire sont devenus hors la loi. Encore moins à celle de ces diplômés des grandes écoles, exilés volontaires sur un monde fabuleux où ils sont condamnés à jouer les toutous pour les enfants !
Et pendant ce temps, sur une planète lointaine bloquée à l'ère du crétacé, des dinosauriens pas comme les autres nous voient venir avec nos gros sabots de colonisateurs et rient sous cape...
L'homme est-il bon, est-il mauvais ? Un salaud pathétique, répond tranquillement Simak dans ces quatre contes à la fois cruels et drôles...
1 - Visions d'antan (So Bright the Vision, 1956), pages 5 à 89, nouvelle, trad. Iawa TATE 2 - Génération terminus (Target Generation / Spacebred Generations, 1953), pages 91 à 169, nouvelle, trad. Iawa TATE 3 - La Maison des pingouins (Auk House, 1977), pages 171 à 271, nouvelle, trad. Iawa TATE 4 - L'Immigrant (Immigrant, 1954), pages 273 à 377, nouvelle, trad. Iawa TATE
Critiques
Voici un ouvrage assez singulier dans la bibliographie de Clifford D. Simak. Comme d'autres recueils, Visions d'antan n'a pas d'équivalent en langue anglaise et nous sommes donc, lecteurs francophones, seuls à bénéficier de la réunion sous forme d'un volume unique des quatre nouvelles ici proposées, textes qui, pour la plupart, parurent entre 1953 et 1956 (l'exception étant La Maison des pingouins, qui date de 1977 — Simak avait alors plus de 70 ans !). Autre particularité : Visions d'antan est un recueil récent — publié en juin 1997. Voilà qui prouve bien l'intérêt porté à Simak par certains grands groupes éditoriaux, ce qui n'est certes pas le cas de tous les ténors de l'Age d'or. Il est, à ce titre, le dix-huitième volume de Simak à figurer au catalogue de l'éditeur de la rue de Grenelle, catalogue qui s'impose, concernant cet auteur, comme le plus riche de l'édition française (on signalera au passage que l'entièreté ou presque de ces titres sont disponibles et régulièrement réédités, ce qui mérite d'être salué). Enfin, si ce recueil ne propose que des rééditions (une surprise, quand on connaît la qualité de certains textes encore inédits en langue française), ces dernières bénéficient néanmoins d'une nouvelle traduction bien venue — on ne se privera pas, toutefois, de souligner que l'éditeur du présent ouvrage se garde bien d'indiquer l'antériorité de publication de ces rééditions, procédé pour le moins limite, à fortiori quand l'un des textes du sommaire provient du même catalogue J'ai Lu : réédité ici sous le titre éponyme de Visions d'antan, on le retrouve dans le recueil Les Epaves de Tycho sous un autre titre, à savoir La Littérature des sphères. Bref...
Quatre textes, donc, soit quatre novellas.
Le recueil débute avec Visions d'antan( So Bright the vision), une nouvelle parue dans Fantastic universe en août 1956, intense et faste période de créativité pour Simak. Le texte part d'un postulat riche de décalages et fort séduisant : l'idée que, dans toute la Galaxie, parmi la kyrielle de peuples qu'elle abrite, les terriens sont les seuls à avoir la capacité de... mentir ! Une particularité unique qui n'a pas permis aux terriens de conquérir l'univers (hautement improbable chez Simak) ; non, rassurez-vous, la Terre est toujours une planète de seconde zone et ses habitants de minables petits magouilleurs. En revanche, cette capacité à dire n'importe quoi a conduit les terriens à se spécialiser dans la création littéraire. Ainsi, la Terre inonde-t-elle quotidiennement la Galaxie d'un nombre d'histoires considérable, manne dont dépend désormais l'économie terrienne. Notre planète n'est plus qu'une vaste usine à produire des bouquins, une activité qui touche toute la population ou presque, libraires, éditeurs, concepteurs de « narrateurs » (curieuses machines à écrire toujours plus perfectionnées), imprimeurs et, naturellement, écrivains. Visions d'antan narre les déboires de Kemp Hart, un de ces auteurs populaires du futur, pauvre gars désargenté et frustré de ne pouvoir s'offrir le « Classique », véritable merveille technologique, un « narrateur » high-tech qui lui permettrait à coup sûr de pondre best-seller sur best-seller. Jusqu'à ce qu'il fasse une étrange rencontre extraterrestre au fin fond d'une ruelle, en la personne ( ?) d'une couverture pourvue d'un semblant de visage et dotée de pouvoirs d'empathie... Texte grinçant et plein d'humour, d'une construction narrative remarquablement élaborée, Vision d'antan est une réussite incontestable.
Il en va différemment de la seconde novella du recueil, Génération terminus(Target generation), initialement publiée dans Science fiction plus en août 1953 sous le titre Spacebred generations. Une histoire au thème archi-classique (il l'était déjà en 1953 !) de pionniers enfermés dans le cœur d'un vaisseau géant à la recherche d'une nouvelle Terre, un but si ancien qu'il a été oublié depuis des lustres par des colons qui ne savent plus où ils se trouvent ni pourquoi. Evidemment, les pendules ne vont pas tarder à être remises à l'heure alors que le vaisseau approche d'un nouveau système solaire : une révolution va balayer l'ordre obscurantiste et religieux régnant depuis des générations chez les descendants des premiers colons. Un texte qui n'est pas radicalement mauvais, loin s'en faut, mais qui souffre d'une narration linéaire, statique, et surtout d'une longueur excessive.
Troisième et avant-dernière novella, La Maison des pingouins est le plus récent des textes à nous être ici proposé. Il fut publié outre-Atlantique en 1977, avant de nous arriver en France en 1981 dans le recueil Des souris et des robots réuni par Patrice Duvic en « Titres SF » chez Lattès. Le plus récent des textes, peut-être, le plus simakien, le plus nostalgique, le plus passéiste aussi, et, sans doute, le plus beau. La Maison des pingouins nous raconte l'histoire de David Latimer, un artiste peintre à la recherche d'une retraite paisible afin de consacrer quelques mois à son art. Alors qu'il semble s'être égaré, il découvre une vieille et immense demeure à louer sur un front de mer désert. Après s'être procuré les clés à l'agence de location du coin, il entreprend la visite de la majestueuse villa solitaire. Il en ressort enchanté, bien décidé à louer la demeure. Comme il s'apprête à regagner sa voiture, Latimer s'aperçoit subitement que la nuit est tombée et que son véhicule a disparu. Désappointé, il regagne la maison pour constater qu'un serviteur en livré l'y attend et l'introduit bientôt dans la vaste salle à manger désormais richement meublée. Il y fait connaissance de ceux qui vont devenir les compagnons de sa captivité dorée, sept artistes, comme lui. Dans quel but ont ils été réunis, où sont ils et, surtout, quand sont-ils ? Autant de questions auxquelles Latimer devra répondre... Jouant avec bonheur sur le double registre de l'angoisse et d'un bien-être confortable, La Maison des pingouins est une merveille de précision stylistique et d'économie d'effets. A déguster comme on le fait d'une bonne bouteille, au coin du feu et en prenant son temps. Pas de doute, nous sommes ici en présence d'un petit chef-d'œuvre.
C'est à L'Immigrant qu'incombe la lourde charge de clore Visions d'antan. Publié en mars 1954 dans Astounding, voici probablement le texte le plus campbellien du recueil (de par sa foi en une humanité capable d'apprendre et s'améliorer, son éloge du travail, de la ténacité, son élitisme, etc.) et peut-être, partant, le moins simakien (on notera d'ailleurs qu'il prend pour cadre une planète étrangère, ce qui est peu courant chez notre auteur). Bishop est un génie. Et qui plus est, un génie travailleur. Grâce à ses extraordinaires capacités et un concours d'admission extrêmement sélectif, il a gagné le droit d'émigrer sur Kimon, une planète secrète et mystérieuse qui n'accepte sur son sol que les meilleurs des Terriens. Bishop sait qu'il va devenir riche et qu'il lui sera possible, depuis Kimon, de subvenir aux besoins de sa famille. Il sait aussi qu'il va accéder aux formidables connaissances des Kimoniens. Mais il lui faudra d'abord se familiariser avec l'environnement et les us et coutumes locaux, et ça, c'est une autre paire de manches... L'Immigrant est un récit typique de ce qu'il était possible de lire au milieu des années cinquante dans Astounding. Une œuvre probablement assez peu personnelle, écrite par un auteur qui avait alors cinquante ans et maîtrisait parfaitement ses capacités d'écrivain. Bref, un texte tout sauf incontournable, quoique mené en bon « faiseur », sans brio particulier mais avec efficacité.
Nous voici en fin de compte avec un recueil de niveau fort inégal. On y trouve toutefois deux très bons textes, dont La Maison des pingouins qui justifierait à lui seul l'achat du volume. Quant à l'absence d'inédit, elle est contrebalancée par deux points. D'abord, certains des textes proposés étaient inaccessibles depuis longtemps ; ensuite, cette nouvelle traduction est, répétons-le, plus qu'adéquate. A découvrir, si ce n'est déjà fait.
ORG Première parution : 1/4/2001 dans Bifrost 22 Mise en ligne le : 17/12/2002
La quatrième de couverture de ce nouveau recueil de Clifford D. Simak sonne agréablement à nos oreilles. La présentation de l'auteur, décédé il y près de dix ans, est une véritable déclaration de foi : « [Simak] demeure l'un des plus célèbres écrivains américains de Science-Fiction. Son univers n'a ni âge ni frontières... ». On ne saurait mieux dire et c'est sans la moindre nuance que nous adhérons à cette affirmation. Le public ne s'y est d'ailleurs pas trompé : Clifford D. Simak est l'un des auteurs les plus présents dans ce que l'on pourrait nommer l'excellente partie « classique » du catalogue J'ai lu, et ses livres sont régulièrement réimprimés. Sauf omission de ma part, Visions d'Antan est le dix-huitième opus simakien dans la collection.
Ce recueil de quatre novellas s'ouvre par le texte titre : « Visions d'Antan » (« So bright the vision »), paru à l'origine en août 1956, dans Fantastic Universe. L'idée de base est intéressante : les Terriens sont les seules créatures intelligentes de la galaxie capables de mentir. Partout ailleurs, dire la vérité va de soi — le contraire n'est même pas envisageable, cela relèverait d'une aberration mentale impossible à imaginer. Étonnant ! me direz-vous. À l'évidence, armés d'un tel don, les Terriens sont aisément devenus les maîtres incontestés de l'univers ? Eh bien non. La Terre est restée une planète minable. Par contre, la capacité à mentir — donc à affabuler et à raconter n'importe quoi — a conduit la Terre à se spécialiser dans un unique produit d'exportation : les livres. Tous les Terriens vivent de la littérature : des écrivains qui produisent du « sur mesure » pour chacun des peuples de la galaxies, aux imprimeurs, en passant par les tenanciers des pensions de famille où logent nos littérateurs et les revendeurs de machines à écrire toujours plus perfectionnées. Notre planète est devenue une colossale usine à fiction. De ses astroports s'envolent des vaisseaux spatiaux à destination des quatre coins de la galaxie, leurs cales bourrés de bouquins. « Visions d'Antan » est le récit de la vie, plutôt peu reluisante, d'un écrivain populaire du futur, catégorie tâcheron.
Détail étonnant pour l'époque, cette novella intègre une manière de boucle interne. Le personnage principal découvre une étrange créature extraterrestre : une simple couverture possédant une ébauche de visage. Cette péripétie est capitale : elle amène le héros à comprendre qu'il peut écrire en se passant de l'assistanat des machines. Cette créature a été fabriquée par des extraterrestres experts en bricolage biologique, à partir d'un récit de S-F des années 50 dans lequel elle est imaginée et décrite par un auteur depuis longtemps disparu (le récit se passe plusieurs siècles dans le futur). Ce récit est bien entendu celui que le lecteur est en train de lire. Étonnant clin d'œil à ce que l'on baptisera plus tard la post-modernité, de la part d'un auteur en avance sur les procédés narratifs et la synopsistique de son temps.
Cette novella de Simak est bien entendu une totale réussite. Mais pour tout dire, je me demande quel lecteur d'aujourd'hui saura la savourer comme elle mérite de l'être — qui peut sauter au plafond en lisant « Visions d'antan », à part un écrivain de S-F pervers qui se doublerait d'un fan inconditionnel de la S-F d'hier « à la Simak » ? En comptant Jacques Sadoul, directeur de la collection qui accueille ce recueil, nous sommes au moins deux...
Le thème de la seconde novella du recueil est hélas résumé dans son titre : « Génération terminus » (« Spacebred Generation », reprise en recueil sous le titre « Target Generation »), parue à l'origine en août 1953, dans Science Fiction Plus. Il s'agit de la longue errance d'un vaisseau spatial à la recherche d'une planète habitable. Ses passagers sont les lointains descendants des pionniers embarqués, Ayant tout oublié de leur origine, ils vivent dans un univers clos régi par un système religieux oppressif. Le texte commence à l'instant où le vaisseau se remet brusquement en route, à l'approche d'un système solaire. Un unique membre de la communauté humaine possède la clé de la Vérité. Il est bientôt considéré comme un hérétique. Disons, pour résumer, qu'un lecteur de S-F normalement constitué a tout compris dès la troisième page. Le problème est que ce texte long et statique en compte quatre-vingt.
Il n'est pas inutile de préciser que cette novella a été publiée par Hugo Gernsback, lors de son retour sur la scène éditoriale, dans les années cinquante. Le problème du fondateur de la « scientifiction » est que ses conceptions du genre et de son rôle (social, culturel, politique...) n'ont pas évolué depuis la seconde moitié des années vingt, lorsqu'il lança Amazing Stories et son armada de pulps associés : Air Wonder Stories, Science Wonder Stories, Amazing Stories Quarterly, Wonder Stories... Gernsback n'a pas su (ou pas voulu) intégrer les révolutions menées sous F. Orlin Tremaine puis John W Campbell dans Astounding Stories, dans les années trente et quarante. Et il n'a probablement rien compris à ce qui s'est passé à partir de 1949 dans F&SF puis Galaxy.
Publiée vingt ans plus tôt dans Amazing Stories ou Thrilling Wonder Stories, « Generation terminus » aurait peut-être pris rang de classique. En 1953, après quinze ans de domination de l'Astounding campbellien sur le genre et la publication de nouvelles comme « Universe » (1941) de Robert Heinlein, cette novella était déjà d'une lecture transparente et d'un inintérêt notoire ! L'histoire ne dit toutefois pas si Simak a rédigé là un texte sur mesure pour Gernsback, connaissant l'archaïsme de ses goûts littéraires, ou s'il s'agissait, à l'époque, d'un fond de tiroir déjà ancien.
Visions d'Antan s'achève sur une troisième novella datant des années cinquante, « L'immigrant » (« Immigrant »), parue à l'origine dans Astounding SF, en mars 1954.
Découverte par hasard, la planète Kimon est un véritable paradis, peuplé d'extraterrestres humanoïdes parfaits à tous points de vue : d'une beauté à couper le souffle, dotés de pouvoirs psy étendus, ils possèdent une intelligence sans commune mesure avec celle des Terriens. Un accord saugrenu est passé entre Kimon et la Terre. Alors que les Kimoniens refusent d'établir le moindre rapport diplomatique avec les Terriens, peuple jugé barbare, ils acceptent que l'élite de la Terre émigre sur Kimon. Attirés par des conditions de vie idylliques et des salaires pharamineux, les candidats sont légion. Mais la sélection est sévère : il faut avoir un QI supérieur à 160 pour se présenter à un concours à l'issue duquel seul un candidat sur mille est déclaré « bon pour l'immigration ». La novella débute avec l'arrivée sur Kimon d'un nouvel immigrant. Celui-ci ne tarde pas à découvrir que la réalité est loin d'être conforme aux descriptions données par les exilés — pourtant, aucun d'entre eux ne souhaite revenir sur Terre.
« L'immigrant » est un texte typiquement campbellien, nourri des préoccupations et états d'âme du rédacteur en chef d'Astounding SF. De nombreux motifs du scénario témoignent de l'influence sur Simak de cet élitiste forcené qu'était John Campbell : du mode de sélection des immigrants — prise en compte de l'inné (le QI) et de l'acquis (la capacité de travail) : être un génie est nécessaire mais non suffisant, il faut aussi être un génie travailleur ! — au retournement final, avec cette foi indestructible dans le « grandiose avenir » et en une humanité perfectible, amenée à tenir son rang dans l'univers au terme d'une évolution passant, entre autres, par l'acquisition de pouvoirs psy — ici : au contact de « maîtres ».
En complément de ces trois textes parus à l'origine entre 1953 et 1956, la novella « La maison des pingouins » fournit un excellent exemple de la production plus tardive de l'auteur — publiée en 1974 dans le premier volume de l'anthologie périodique de Judy-Lynn Del Rey, Stellar, « Auk House » est en effet l'œuvre d'un auteur alors âgé de soixante-dix ans. On retrouve évidemment la thématique habituelle d'un Simak volontiers passéiste et presque toujours nostalgique qui, tout comme son presque alter ego littéraire Jack Finney n'a cessé de proclamer, tout au long de son œuvre, que « Tout était mieux avant ! ». Chez Simak — comme chez Finney — cet « avant » n'est toutefois pas toujours à prendre au premier degré. Si le motif du voyage dans le passé est omniprésent chez l'un comme chez l'autre — de Simak on se contentera de citer Mastodonia — le héros simakien déniche souvent le « bon vieux temps » non dans le passé, mais sur des Terres parallèles ayant suivi une évolution moins catastrophique que la nôtre, Ainsi, la présence de grands pingouins sur la côte nord-américaine — des animaux éteints depuis des siècles — amène les personnages à croire qu'ils ont été envoyés dans le passé ; alors qu'en réalité ils se trouvent sur une Terre parallèle où l'homo sapiens n'est jamais apparu — et n'a donc pas eu davantage l'occasion d'exterminer ces animaux inoffensifs que de piller ces mêmes fragments d'agates que le héros ramassait, enfant, sur les plages peu fréquentées ! Récemment, interviewé sur l'Internet, l'écrivain F. Paul Doster1 a déclaré que, pour lui, le seul intérêt du voyage dans le temps serait de pouvoir remonter de trente ans dans le passé. À cette époque, explique-t-il, les lendemains de tempête, on trouvait sur les plages de l'île de Ré des étoiles de mer et des hippocampes morts, mêlés aux algues arrachées et abandonnées sur le sable humide par le reflux. Il ajoute qu'il y avait également des colonies de macareux, ces oiseaux de mer ventrus, au plumage blanc et noir, avec des gros becs ! En écho au héros simakien qui se plaint de la rareté des agates dans son présent, F. Paul Doster fait remarquer un peu brutalement que la disparition des hippocampes et des macareux est une preuve « qu'on vit dans un monde de merde ».
À chacun ses hippocampes...
« La maison des pingouins » réunit donc le Simak de Mastodonia, fasciné par les temps préhistoriques, et celui de Chaîne autour du soleil, où la possibilité d'utilisation des mondes parallèles est déjà au centre du récit. Mais le temps a passé et l'auteur s'est radicalisé sur le plan politique — dans un sens d'ailleurs inattendu. Il est assez curieux de voir un écrivain qui fut un temps sous influence campbellienne (pas assez longtemps malheureusement pour devenir antiétatique) et qui n'a jamais hésité à donner dans la nostalgie la plus réactionnaire et à mettre en scène le Sud le plus profond — même si c'est pour la bonne cause : relire ce chef d'œuvre absolu qu'est Au carrefour des étoiles,un des dix meilleurs livres de toute l'histoire de la S-F — , prendre sur le tard des positions anticapitalistes aussi tranchées que dans cette novella.
Tant sur le plan de la qualité que sur celui de la période de l'œuvre présentée, Visions d'antan et autres nouvelles est donc un recueil très hétérogène.
On ne manquera pas de faire remarquer que le seul texte inédit, « Génération terminus », est justement celui qui n'a aucun intérêt !
« La maison des pingouins » est paru sous le titre « La maison des grands pingouins », également dans une autre traduction (Francine Mondoloni), dans le recueil Des souris et des robots,dans la collection « Titres SF », en 1981.
« Visions d'antan » est paru sous le titre « La littérature des sphères » et sous une autre traduction (France-Marie Watkins) dans Les Épaves de Tycho,un recueil de Clifford D. Simak paru... dans la même collection (J'ai lu n°808, janvier 1978) !
Certes, rien n'obligeait les Éditions J'ai Lu à préciser en page sommaire que trois des textes ici proposés n'étaient pas inédits, et à donner les références d'édition précédente ; mais y souscrire aurait simplement témoigné d'un certain « respect des lecteurs » — vertu éditoriale bien passée de mode. Ces éditions précédentes étant d'ailleurs épuisées depuis belle lurette, cela n'aurait rien changé (en terme de « vendabilité ») pour les jeunes lecteurs. Et les vieux fans auraient tout de même acquis ce recueil, pour la novella inédite, mais sans la désagréable impression de se faire refiler du matériel recyclé vaguement maquillé. D'autant que publier deux fois le même texte dans la même collection, en en changeant le titre, peut apparaître pour le moins discutable...
Terminons sur deux précisions.
La première est anecdotique : ce recueil n'a rien à voir avec le recueil américain So Bright the Vision — constitué également de quatre nouvelles et dont le texte titre est le même — paru chez Ace, en 1968.
La seconde permettra de conclure de manière positive. Même si vous possédez tous les précédents recueils de Simak, n'hésitez pas à faire l'acquisition de celui-ci pour les relire (ce que j'ai fait). La (re)tra-duction de Iawa Tate est incomparablement supérieure à celles des premières éditions, Il s'agit d'une traduction très fluide qui rend parfaitement compte de la beauté du style de Simak, un auteur volontiers contemplatif et dont les longues descriptions sont souvent empreintes d'un mysticisme résolument païen et biocentriste. L'arrivée du personnage principal à la maison des pingouins, sa prise de contact avec l'océan et la nature, sont prétexte à des scènes à couper le souffle. La traductrice (Iawa Tate est bien un nom féminin ?) a su prendre la bonne distance avec le texte original, pour produire un texte français derrière lequel on ne sent pas poindre les tournures anglaises, mais qui reste toutefois fidèle à l'esprit et aux choix esthétiques de l'auteur 2.
Notes :
1. Publié dans Bifrost 04. 2. Les fans de Simak seront ravis d'apprendre qu'il fera l'objet d'une longue étude 3 dans le prochain « Au travers du prisme » signée A-F. Ruaud. 3. Cette étude, parue dans Bifrost n° 11, est disponible en ligne sur le site Quarante-Deux — Note de nooSFere.
Dix ans après sa disparition, Clifford D. Simak reste un auteur majeur du catalogue J'ai lu. Ses nombreux ouvrages — au nombre desquels figure au moins un chef-d'œuvre absolu, Au carrefour des étoiles — sont régulièrement réimprimés et fournissent matière à émerveillement pour un public sans cesse renouvelé.
Visions d'Antan, dix-huitième livre de Simak chez J'ai lu, est un recueil de quatre novellas. Trois datent des années cinquante : Génération terminus (1953), L'Immigrant (1954) et Visions d'antan (1956). Seule la première est inédite en français. Elle fut écrite à l'occasion du retour sur la scène éditoriale d'Hugo Gernsback, créateur de la première revue spécialisée, Amazing Stories. Hélas, la SF défendue par Gernsback dans les années cinquante était déjà très datée. Génération terminus a un parfum d'inutile comparé au texte classique de Robert Heinlein, Univers, paru en 1941 sur le même motif. L'Immigrant fut écrit pour John Campbell. On y retrouve les préoccupations habituelles de l'éditeur d'Astounding Stories : élitisme forcené, foi indestructible en un grandiose avenir et dans la perfectibilité de l'humanité, en particulier grâce à l'acquisition de pouvoirs psi. En bon professionnel écrivant pour le marché, Simak n'hésitait pas à s'adapter aux personnalités de ses éditeurs.
Visions d'antan est un texte plus léger. Les Terriens étant les seules créatures de la galaxie capables de mentir et donc de raconter des histoires, la Terre n'exporte qu'un seul produit : la littérature ! Beau prétexte à des scènes réjouissantes sur la vie au quotidien d'un écrivain du futur — à peine transposée de celle d'un « pulpster » des années cinquante !
Publiée en 1974 dans l'anthologie Stellar, La Maison des pingouins est une histoire d'univers parallèle splendide et nostalgique, et rappelle que Simak fut un des auteurs de SF les plus littéraires. On conseillera donc ce recueil, d'autant que les nouvelles traductions de Iawa Tate des textes non inédits sont très supérieures aux versions précédentes.