Edmond HAMILTON Titre original : City at World's End, 1950 Première parution : Startling Stories, juillet 1950 / États-Unis, New York : Frederick Fell, février 1951 Traduction de Catherine GRÉGOIRE Illustration de Paul LEHR
Il protesta longtemps et Krimer fit de même. Mais Hubble eut le dernier mot.
Tranquillement, implacablement il attira leur attention sur le paysage inconnu qui entourait la ville, le soleil sans chaleur, fit observer le refroidissement subit de l'atmosphère, l'impossibilité de communiquer par radio avec l'extérieur. Il expliqua brièvement, la nature du Temps et de l'Espace. Ses auditeurs ne pouvaient comprendre les théories scientifiques, mais ils y croyaient, comme tous les gens du XXe siècle avaient cru les interprètes des sciences qu'eux-mêmes étaient incapables d'assimiler. Et ils pouvaient constater que le soleil ne chauffait plus, que la terre avait changé d'aspect.
Né en 1904, Edmund Hamilton écrit depuis 1926. Il est l'époux de Leigh Brackett, également auteur de S.F. Ville sous globe, publié en 1950, développe le thème de deux civilisations qui se confrontent et se meurent. Ici les habitants d'une petite ville américaine affrontent leurs descendants, dans un très lointain futur.
Le hasard des programmes ou le Seigneur de la science-fiction ont voulu que deux des meilleurs titres du Rayon Fantastique se propulsent en même temps sur les rayons des librairies et au premier rang des présentoirs. L'un était pour moi - et pour pas mal d'autres, je pense - absolument légendaire : il s'agit du roman d'E. Hamilton, Ville sous globe, que Le Masque vient de publier avec un article défini qui n'ajoute rien à sa gloire. Je l'ai ouvert avec une appréhension extrême. La magie allait-elle jouer aussi fort qu'à l'époque où j'avais dix-huit ans et la célèbre collection de Stephen Spriel et Georges H. Gallet ? J'étais alors auxiliaire dans un bureau tel qu'un jeune postier de 1974 n'en a jamais vu dans ses cauchemars les plus déprimants. Hamilton, ça a fait du bruit dans ma vie ! Et quelques semaines plus tard : Le monde des A. Bien, bien. Aussitôt après : La faune de l'espace. Puis : Cailloux dans le ciel. Essayez d'imaginer, bonnes gens. Entre la science-fiction et la révolution, mon cœur balançait. Si on ne nous avait pas donné ensuite Un martien sur la Terre et Le dernier astronef, je n'aurais jamais eu l'idée de m'inscrire au parti communiste !
Je tiens Cailloux dans le ciel pour l'un des meilleurs romans d'Asimov. Je le trouve supérieur à Fondation et presque égal à La fin de l'éternité, mais peut-être me laissè-je porter par le vent tiède de la nostalgie. En tout cas, un très bon choix de Jacques Sadoul qui, à vrai dire, n'en fait presque jamais de mauvais. Malheureusement, la typographie de l'édition J'ai Lu est presque microscopique. Bon, il faudra s'y faire. Autant de gagné pour les arbres et l'oxygène ! Après tout, rien ne vous oblige à vous esquinter les yeux en cherchant un emploi dans les petites annonces de France-Soir ni à risquer l'accident rétinien en regardant le porte-parole du gouvernement à la télé. Economisez vos cônes et vos bâtonnets pour lire de la SF : vous ne le regretterez pas.
Outre leur première publication au Rayon fantastique, ces deux romans présentent une analogie qui n'est pas due au hasard. Ils appartiennent l'un et l'autre à la postérité immédiate de la bombe d'Hiroshima et de la guerre de Corée. Et ils sont très typiques de ce point de vue, car ils se situent également loin après la destruction (partielle) de l'humanité par la guerre nucléaire et montrent un (ou plusieurs) américain(s) moyen(s) de notre temps, affrontant la civilisation galactique du futur. Mort et renaissance de l'homme. C'est encore l'optimisme, un optimisme modéré, mitigé, raisonné, et la science n'est plus notre sainte mère.
Même scénario dans les deux cas. Une bombe « superatomique » s'abat sur la petite ville.de Middletown, où se trouvait un mystérieux laboratoire dont on nous dit sans plus de précision qu'il constituait « un des centres vitaux de la défense antiatomique américaine ». Et Middletown avec ses cinquante mille habitants sont transportés jusqu'en cette « fin du monde » qu'évoque le titre anglais. Joseph Schwartz, le petit tailleur vieillissant de Cailloux dans le ciel, est projeté lui aussi dans un lointain futur, à la suite d'un accident survenu dans un laboratoire de recherches nucléaires de Chicago. Kenniston et les habitants de Middletown se retrouvent isolés sur une Terre mourante, éclairée par un pauvre et pâle soleil et abandonnée par les survivants qui ont émigré depuis Dieu sait quand vers la gloire des Etoiles. Qui ont fui la planète froide en laissant, intactes, leurs « villes sous globe », comme celle qu'on voit sur la couverture naïve de l'édition Hachette. Par contre, la Terre sur laquelle Joseph Schwartz est expédié par un mystérieux rayon - petit monde minable à la périphérie d'un vaste empire - doit à la guerre et à ses séquelles d'être tenue en quarantaine par les seigneurs de la galaxie. Le héros de La ville sous globe n'aura pour affronter les hommes et les humanoïdes du lointain futur que son regard clair, son courage de bon Américain et l'amour d'une belle galactique, l'administrateur Varn Allan. Malgré les facultés psi que Joseph Schwartz doit à l'invention du docteur Shekt, le tailleur de Chicago n'est qu'un pauvre type, un anti-héros que ses dons apparentent au mulot de Perry Rhodan plus qu'à Gilbert Gosseyn. Le véritable héros de Cailloux dans le ciel, c'est l'extraterrestre Bel Arvardan.
Les deux ouvrages se séparent dans le dénouement. La science a fait le malheur des gens de Middletown ; mais elle les sauvera en réchauffant la Terre grâce à la bombe de Jon Arnold. Au contraire, la science aura de nouveau le mauvais rôle à la fin du roman d'Asimov, alors que les Terriens se préparent à déclencher une guerre bactériologique contre l'Empire. Tout s'arrangera, bien sûr, grâce à l'amour de Varn pour Kenniston - Hamilton - ou du Dr Arvardan pour la touchante Pola - Asimov. Le Terrien et la Galactique. Le Galactique et la Terrienne. Les possibilités sont limitées avec cette fichue race primitive, dotée seulement de deux sexes !
La plus grande qualité de La ville sous globe, c'est la simplicité du récit. L'intrigue très linéaire laisse toute la place à une description sensible et discrète de la vieille ville et de la planète mourante et à la psychologie des hommes et des femmes de Middletown, jetés dans un monde incompréhensible, luttant avec acharnement pour sauver quelques bribes d'un présent devenu en une seconde un passé lointain et presque inimaginable.
La plus grande qualité de Cailloux dans le ciel, c'est - fait étrange - l'humanité. Pour une fois, Asimov a écrit un bouquin qui ressemble à sa tête (bien sympathique). Humanité symbolisée par ces vers de Browning que Joseph Schwartz se récite au commencement et à la fin du livre :
« Vieillissons ensemble !
Le meilleur, encore, est à naître,
L'apogée, la raison d'être de tout ce qui a été vécu. »
Dans une littérature - la SF classique - qui se livrait volontiers au culte de la jeunesse, c'était une attachante originalité d'avoir choisi, comme Asimov, d'évoquer les charmes et les mérites de la vieillesse, à travers un bonhomme très ordinaire. Dans une littérature - la SF classique - volontiers raciste, c'était une originalité digne d'éloge d'avoir peint comme Hamilton des humanoïdes (Gor Holl, Magro) plus humains que les humains.
Je me souviens tout à coup d'une définition moitié géniale, moitié paradoxale, entendue dans je ne sais quelle spirituelle assemblée : « La science - fiction, c'est ce genre d'histoires où la Terre s'écrit toujours avec une majuscule. » Elle s'applique fort bien à ces deux excellents romans. Oui, j'aime beaucoup la spéculative fiction et la new wave, car le temps des changements est venu, mais je ne souhaite pas que la Terre perde sa majuscule dans les jeux de l'esprit.
L'explosion d'une bombe « supratomique » expédie la petite ville de Middletown des millions d'années dans le futur, alors que le soleil mourant peine à réchauffer la planète. Le temps d'assurer la survie des habitants, compromise à court terme par les froids polaires de la nuit, Kenniston, un scientifique, découvre une ville sous globe manifestement abandonnée. Ses dimensions énormes et ses merveilles technologiques devraient permettre de mettre la population en sécurité, à condition qu'elle accepte de déménager. A peine installée, elle reçoit la visite d'un engin spatial composé de terriens exilés et d'extraterrestres, lesquels ont pour mission de rapatrier les habitants de Middletown sur des mondes plus accueillants. La population, déjà éprouvée par ce saut dans le futur, refuse de quitter ses racines. Mais on ne tient pas tête aux gouverneurs d'une confédération galactique qui sont prêts à évacuer par la force. Le bras de fer qui commence ressemble bien à l'affrontement du pot de terre contre le pot de fer.
Ce roman mené tambour battant aborde de multiples sujets : la folie meurtrière de l'humanité, l'adaptabilité humaine face aux nécessités de la survie mais aussi l'apathie de la population dépassée par les événements, sa peur de l'inconnu qui se manifeste aussi bien par sa méfiance devant les extraterrestres non humanoïdes que par le refus de quitter la planète, seul moyen pourtant d'assurer la survie de l'espèce. Du reste, les représentants d'une civilisation éclairée et avancée font preuve d'un piètre sens de la psychologie en présentant si maladroitement leur projet d'évacuation et en déclarant recourir à la force avant même de chercher à convaincre.
Si aucun des thèmes liés aux péripéties n'est oublié, ils sont malheureusement trop rapidement survolés pour être efficacement exploités. C'est le principal défaut de ce sympathique récit, non exempt de naïvetés, mais traversé par le chaleureux humanisme du grand auteur de space opera que fut Edmond Hamilton, dans le droit fil de La Vallée de la création, déjà publié dans cette collection.
Vous savez ce que c’est une bombe « supratomique » ? Eh oui, absolument : comme une bombe atomique, mais en pire. Et c’est ce qui tombe sur le coin de la figure de Middletown, Ohio (l’état d’Hamilton), 50 000 habitants en 1950 (et pareil en 2000, si on en croit Wikipédia). Une bombe envoyée par on ne sait qui (même si on a bien une petite idée), mais là n’est pas le propos. « On dirait que l’apocalypse ato-mique a commencé […] Le bouquet final… Comment se fait-il que nous soyons encore là, Kenniston ? Com-ment est-ce possible ? » Car en effet, la bombe en question, plutôt que de rayer Middletown de la carte, fracture le continuum spatio-temporel et envoie la ville quelques millions d’années dans le futur. Si si. Une époque ou la Terre n’est plus qu’une coquille aussi glaciale que stérile… Et tout ce petit monde, passé la sidération bien compréhensible (sentiment qui n’épargne pas le lecteur) de se retrouver condamné à court terme « dans le silence de la Terre mourante ». À moins que… Car en effet, une étrange cité futuriste, une ville sous globe totalement déserte, est bientôt découverte à quelques kilomètres de Middletown. Le déménagement est un crève-cœur, mais les voyageurs temporels n’ont pas le choix : leur ville n’est plus un abri viable ; ils doivent quitter Middletown et espérer que les merveilles technologiques de l’étrange cité leur permettront de survivre. Or, à peine sont-ils installés dans ce nouvel environnement qu’un vaisseau spatial déchire le ciel…
Initialement publié dans Startling Stories en juillet 1950, avant de paraître en volume un an plus tard, La Ville sous globe est l’un des plus célèbres romans d’Hamilton. Et pour cause. De facture classique, voire datée (intrigue linéaire au point de vue unique, per-sonnages un tantinet caricaturaux – dans leur jus, disons), ce petit livre qui se lit d’une traite brasse un nombre de thématiques incroyables et enchaine les péripéties à un rythme effréné du début à la fin. On s’y installe tout naturellement comme dans de vieux chaussons confortables, et on regarde, un brin médusé, cette humanité se débattre face à l’incompréhensible, l’inique et l’incontrôlable ; toute la condition humaine passée à la moulinette d’une mise en abîme science-fictive ébouriffante. Nul doute que rédigé en 2017, La Ville sous globe nous aurait épargné des saillis du genre de celle-ci : « La tendresse qu’il ressentait à son égard tem-pérait l’irritation que lui causait l’incapacité du cerveau féminin à saisir l’essentiel d’une situation. » (Qu’on se rassure, notre héros rencontrera plus loin un personnage féminin d’une grande force qui bousculera ses certitudes…). Nul doute non plus qu’au lieu de ses deux cents pages, il en aurait fait cinq cents. En aurait-il été meilleur ? Il est permis d’en douter. Bref, voilà un excellent petit bouquin à dévorer sous la couette (il y fait froid, dans ce livre !), dans l’édition Terre de Brume, à la traduction révisée, bien entendu (même s’il reste pas mal de coquilles et que la maquette intérieure en corps 8, interlignage 12, pique salement les yeux).
ORG Première parution : 1/4/2018 Bifrost 90 Mise en ligne le : 24/4/2023