MANGO Jeunesse
(Paris, France), coll. Autres Mondes n° 31 Dépôt légal : avril 2005, Achevé d'imprimer : avril 2005 Première édition Roman, 216 pages, catégorie / prix : nd ISBN : 2-7404-1922-8 Format : 13,0 x 20,0 cm Genre : Science-Fiction
Sommes-nous seuls dans l'univers ? Dans son exploration de l'espace, l'homme sera sans doute un jour confronté à la découverte de civilisations extraterrestres. Choc des cultures, peur viscérale de l'Autre, difficultés de communication, esprit de tolérance marqueront de leur empreinte ces premiers contacts.
Au sommaire : Pierre Bordage, Fabrice Colin, Manon Fargetton, Jean-Pierre Hubert, Nathalie Le Gendre, Danielle Martinigol et Joëlle Wintrebert. Six nouvelles et un poème pour partir à la rencontre de l'Autre, cet Autre qui, malgré ses différences, nous ressemble. Car « nous sommes les branches d'un même arbre agité par le vent... »
1 - Yves COPPENS, Préface, pages 7 à 9, préface 2 - Manon FARGETTON, L'Autre, pages 11 à 15, poésie 3 - Danielle MARTINIGOL, L'Enfant et l'Abîme, pages 17 à 36, nouvelle 4 - Joëlle WINTREBERT, Arthro, pages 37 à 75, nouvelle 5 - Pierre BORDAGE, La Nuit des trois veilleurs, pages 77 à 92, nouvelle 6 - Jean-Pierre HUBERT, Stag 5, pages 93 à 133, nouvelle 7 - Fabrice COLIN, ...Et la lumière fut, pages 135 à 181, nouvelle 8 - Nathalie LE GENDRE, Le Langage de Ferniel, pages 183 à 200, nouvelle 9 - Roland LEHOUCQ, Y'a quelqu'un ?, pages 201 à 208, postface 10 - (non mentionné), L'Anthologiste : Denis Guiot, pages 212 à 212, biographie 11 - (non mentionné), L'Illustrateur : Philippe Munch, pages 213 à 213, biographie
Critiques
La rencontre...Voilà peut-être bien le sujet numéro un venant à l'esprit d'un apprenti-écrivain. Et dans celui d'un écrivain de S-F, c'est même la genèse...
Exercice donc périlleux que de raconter une énième rencontre avec l'« Autre », l'un des grands tropes du genre, sans plonger dans le déjà-écrit et le pompeux. Et ce sont six nouvelles et un poème qu'ose nous exposer Denis Guiot dans sa nouvelle anthologie, le tout préfacé avec le cœur par Yves Coppens et post-facé dans une approche plus scientifique par Roland Lehoucq (oui oui, celui de Bifrost !).
Le poème aborde une rencontre assez classique sous la plume d'une nouvelle écrivain, Manon Fargetton, qui sortira un premier roman chez « Autres Mondes » en 2006.
Danielle Martinigol nous dévoile, toujours avec beaucoup de poésie, un épisode de la découverte de son monde des Abîmes. Quant à Joëlle Wintrebert, son goût pour les ambiances épicées et sulfureuses ne se dément pas dans ce contact entre deux races physiquement différentes et qui se sont laissées prendre au jeu des apparences trompeuses. Pierre Bordage a opté pour une ambiance space opera et des rencontres qui auront des répercussions sur l'Univers entier. Et Nathalie Le Gendre a choisi le chemin des émotions, de l'amour et du désarroi, sentiments propres à ses mondes romanesques.
Il est étonnant de constater combien chaque texte reflète parfaitement son auteur. C'est donc à des rencontres que nous invite chaque écrivain, mais c'est aussi la possibilité de partir à la rencontre de chacun d'eux, de chacun de leurs univers, leurs mondes rêvés sur le papier. Et à ce jeu, Jean Pierre Hubert et Fabrice Colin remportent la palme. Le premier avec une nouvelle lourde de sens, qui prend ses racines dans des vérités du passé, du présent, et qui ne peut qu'augurer un futur bien noir. L'optimisme, même s'il est présent, n'est pas le maître mot du texte d'Hubert, et c'est ce qui en fait sûrement un coup de poing rude et réaliste. Le second emprunte à nouveau la carte de l'humour, pour faire déraper son message vers une émotion si profonde qu'il nous en arracherait presque une larme. Une grande réussite.
Comme l'ensemble du recueil, d'ailleurs, qui offre aux jeunes lecteurs la possibilité d'effectuer leurs premiers contacts avec un monde offrant des horizons sans limite : la science-fiction !
Sommaire alléchant puisqu'on y retrouve quelques « piliers » de la collection : Martinigol, Wintrebert — dont on attend toujours un roman chez Mango — , Colin et Hubert, la génération montante : Le Gendre et Bordage, et une petite nouvelle : Manon Fargetton... Hélas à y regarder de plus près, à la lecture donc, on a l'impression qu'il s'agit d'une antho un peu mièvre, fade si vous préférez, d'une vitrine qui présenterait bien des produits d'un intérêt relatif. Mais à y regarder d'encore plus près et en laissant agir sa mémoire, l'ensemble forme une entité forte...
Détaillons. Une « audace » : ouvrir le recueil sur un poème... C'est bien ! Mais qu'après Rimbaud ou Prévert on nous redonne encore du vers de mirliton façon Edmond Rostand (Cyrano) pour satisfaire quelque pédagogue taquineur de Muse ou donner à comprendre au lecteur... Cela est un peu décevant et, à la limite, inquiétant... Vient ensuite un texte de Danielle Martinigol qui ajoute une petite pierre — finement travaillée — à Autremer, son monde d'Abîmes. Et si l'on comprend la nécessité pour les humains de connaître les Abîmes, rien ne nous explique le besoin qu'éprouvent les Abîmes d'entrer en contact avec nous... Joëlle Wintrebert continue pour sa part d'explorer les relations homme-femme et présente un monde de mantes extraterrestres où les survivants humains d'une expédition cherchent à communiquer pour comprendre les moeurs. Pierre Bordage ose s'attaquer à une « caricature » — celle de l'homme conquérant qui au nom de la foi ou d'autre chose détruit tout ce qu'il veut et désigne comme inférieur — et s'en tire à merveille en adoptant le point de vue extraterrestre. Jean-Pierre Hubert met en scène des humains prisonniers de guerre d'extraterrestres cruels ; les mauvais rapports cesseront avec l'arrivée d'un extraterrestre fin et des troupes humaines.
Hubert glisse une réflexion écologique mais son texte semble s'éloigner du sujet. Fabrice Colin, sous une forme un peu didactique, oppose la rigidité des principes d'un homme élevé dans la plus pure des traditions à une « anarchie » basée sur l'empathie. Mais ironiquement, il a fait du système démocratique qui inspire son terrien — un Grec bien sûr — un système autoritaire... Nathalie Le Gendre enfin « oppose » une expédition terrienne à des extraterrestres sans bouche. La télépathe humaine est incapable « d'entendre » et il faudra que quelqu'un se décide à vaincre la répulsion que lui inspire « l'autre »... Texte remarquable par son économie et l'analyse de nos blocages...
Yves Coppens et Roland Lehoucq encadrent ces textes avec humour pour l'un et didactisme non rébarbatif — excellente vulgarisation — pour l'autre.
Après Graines de futurs, préfacée par Albert Jacquard, Les visages de l'humain, préfacée par Axel Kahn et Demain la Terre, par Joël de Rosnay, il était logique que Denis Guiot et la collection Autres Mondes s'intéressent aux « premiers contacts », ces instants où l'homme rencontre un Étranger : un extraterrestre.
Découverte de l'Autre, acceptation de la différence, tel est le thème essentiel de cette anthologie préfacée, cette fois-ci, par Yves Coppens qui plongea, lui, dans les tréfonds du passé à la découverte de ces Autres qui sont nos ancêtres. Avoir choisi pour préfaciers d'éminents scientifiques — tous ouvertement engagés dans la voie d'une science éthique, respectueuse avant tout de l'homme et de son environnement — est tout à fait significatif du positionnement de la collection. Premiers contacts s'intéresse d'abord à un humanisme qui s'étendrait aux non-humains.
C'est Manon Fargetton qui ouvre le recueil avec un poème intitulé L'Autre. En quelques vers, la benjamine de Premiers Contacts donne le ton : l'« autre », ce n'est pas seulement l'« extraterrestre », c'est simplement celui qui est « différent ». Pour l'adolescent qui va lire ces lignes, il pourra également s'agir d'une « littérature différente ». À une époque où la poésie disparaît peu à peu des cours de français pour être remplacée par des cours sur la pub, la fraîcheur de Manon Fargetton est fort appréciable !
L'Enfant et l'Abîme, de Danielle Martinigol, est une histoire tendre et cruelle située dans l'univers d'Autremer qu'elle a créé. Si l'on y apprend que l'étranger n'est pas forcément à craindre, on y découvre aussi que c'est de l'autre Autre qu'on a le plus de raisons de se méfier, de celui qui est le plus proche de nous. Et c'est une tonalité qui va dominer l'anthologie. Ici c'est le père ou l'une des sœurs, ailleurs ce sera le camarade, ou même le supérieur hiérarchique ; quoi qu'il en soit, il est fréquent que l'amitié avec un extraterrestre passe par un conflit avec les proches, ceux-ci refusant la tolérance ou jalousant les sentiments éprouvés par le personnage principal. C'est ce qui se passe dans la nouvelle de Joëlle Wintrebert, Arthro, où des colons naufragés, qui ont perdu beaucoup de leurs amis, entrent en contact avec un peuple insectoïde aux mœurs troublantes. Joëlle Wintrebert distille aussi dans ce texte les thèmes de la violence, du respect de la femme, de la sexualité (terrestre ou extraterrestre) volontaire, dissociée de la procréation, autant de sujets qui lui sont chers et qu'on retrouve fréquemment dans son œuvre, tant pour la jeunesse que pour le lectorat adulte.
Pierre Bordage, dans la Nuit des trois veilleurs, aborde le thème de l'autre à travers la religion. Cet autre qu'il faut convertir à tout prix, pour le salut de son âme, cet autre qu'il ne faut à aucun prix laisser libre de choisir, c'est peut-être lui qui portera un message d'amour et de tolérance. En lisant ce très beau texte, impossible de ne pas songer aux excès de toutes sortes commis au nom de la religion au cours de notre histoire et, hélas, de notre présent. Après lui, il faut toute la maturité de Jean-Pierre Hubert pour aborder allusivement d'autres pans de notre passé collectif. Stag 5, une assez longue nouvelle, explore les horreurs de la guerre et des camps de prisonniers, ainsi que la cruauté de ceux qui se complaisent à exercer un pouvoir sur les autres. On pense inévitablement à la seconde guerre mondiale et aux maltraitances vécues par certains prisonniers dans la région du Pacifique (à cause des marais).
... Et la lumière fut, de Fabrice Colin, est la seule nouvelle drôle du recueil. Alors qu'on aurait pu l'attendre dans un registre amer, voire triste, comme dans son premier roman pour la jeunesse, Les Enfants de la Lune, qui abordait déjà le thème de l'Autre, il a choisi de faire rire avec cette histoire de général vénusien envoyé civiliser des indigènes. Racontée par sa fille Aphrodite — nous sommes dans un cadre « Nouvelle Grèce » — cette histoire réussit à être à la fois amusante et émouvante en traitant de la relation père-enfant qui semble être devenu ces derniers temps un thème de prédilection pour Fabrice Colin. Ce texte fait ainsi pendant à celui de Danielle Martinigol : dans les deux cas, l'éblouissement d'une rencontre extra-humaine ne peut s'accomplir que dans l'amour familial.
Pour conclure l'anthologie, la nouvelle de Nathalie Legendre, Le Langage de Fermiel, commence de façon très classique — incompréhension entre les membres d'une équipe d'exploration et les indigènes de la planète — , et se déplace peu à peu vers un registre plus intimiste, grâce à l'étrange mode de communication du peuple extraterrestre. Il est difficile d'en dire plus sans dévoiler la fin et ce serait vraiment dommage. Qu'on retienne que cette histoire, si elle semble au début « gentillette », se révèle beaucoup plus chargée de sens qu'il n'y paraît.
Pour résumer, une excellente anthologie pour la jeunesse qui, à la fiction, au délassement, ajoute la profondeur de la réflexion sans que le plaisir de lecture en soit diminué. Les adultes apprécieront eux aussi !