Isaac ASIMOV Titre original : The Stars, Like Dust, 1951 Première parution : Galaxy Science Fiction, janvier à mars 1951. En volume : États-Unis, New York : Doubleday, 1951 Cycle : Empire (Cycle de l') vol. 2
L'empire galactique des Tyrannis comprend des dizaines de mondes, dont la Terre, qui n'est qu'un de leurs nombreux vassaux. Or c'est sur Terre, justement, que Biron Farrill, le fils d'un de leurs principaux opposants qu'ils ont assassiné, recherche un document mythique, datant d'un lointain passé, qui pourrait mettre fin au règne des despotes. Quand on attente à sa vie, Farrill doit cependant fuir in extremis pour se rendre sur Lingane, la seule planète où s'organise la résistance contre Tyrann. Là, il entend parler d'une mystérieuse planète, sur laquelle une armée de rebelles attendrait de reconquérir la galaxie. Mais cette armée existe-t-elle réellement ? Serait-ce sa dernière chance de sauver sa vie et de venger son père ?
Isaac Asimov
Les cycles Fondation et Les robots l'ont imposé comme l'un des piliers de l'Âge d'Or de la S-F, dès les années 1940. Il est l'instigateur des fameuses et révolutionnaires trois Lois de la robotique, qui brisent le mythe du robot envahisseur ou aliéné pour en faire un être enclin au doute et à la contradiction. Asimov est mort en 1992.
« Ce livre nous ramène à une époque où le sense of wonder recouvrait toute la science-fiction comme une couche d'or fin. »
Fait rarissime dans cette collection, il s'agit là pour une fois, non d'une réimpression, mais d'un inédit : autrement dit The stars like dust, roman auquel, bizarrement, aucun éditeur français ne s'était intéressé depuis sa parution dans les années cinquante. Ce n'est pourtant pas un Asimov plus mauvais qu'un autre, et c'est même plus supportable — parce que mieux enlevé — que Face aux feux du soleil. Un space-opera légèrement van vogtien qui plaira aux amateurs de SF d'action.
De Tyrann(publié en volume aux Etats-Unis sous le titre The stars like dust dès 1955 mais resté inédit en France jusqu'à présent), S.A. Bertrand écrivait (Fiction n° 236) que « ce n'est pas un Asimov plus mauvais qu'un autre » : ce pourrait être un sacré compliment, car plût au Cosmos qu'il n'y eût pas de science-fiction plus mauvaise que celle d'Asimov ! Je ne sais pas exactement ce que S.A.B. trouve de van vogtien à Tyrann, mais il y a en tout cas une différence capitale entre les deux vieux maîtres, c'est que van Vogt est parfois génial mais parfois nullard, tandis qu'Asimov ne sait pas écrire un mauvais livre.
Mais peut-être le dédain de S.A.B. et mon enthousiasme s'expliquent-ils par le fait que j'ai lu la plupart des Asimov dans le texte : il perd en effet beaucoup à la traduction. Celle de Franck Straschitz pour The stars like dust est à première vue fort correcte : pas de ces grosses fautes de français, de ces faux-sens répertoriés qui sautent aux yeux ; rien qui choque ou arrête. Mais si on compare avec l'édition anglaise, l'impression est toute différente. Bien que l'édition J'ai Lu ait 312 pages pour 189 chez Panther, il y a des coupures partout : des mots, des membres de phrases, des paragraphes entiers... tous les détails un peu difficiles à rendre, justement dans la mesure où ils donnent au style d'Asimov sa personnalité : images, choix de termes caractéristique, précision des détails, humour, titres de chapitres surtout, qu'Asimov soigne tant dans toutes ses œuvres, parce qu'ils matérialisent l'ironie du sort, permettent à l'auteur d'exercer la sienne et concrétisent le schème du livre, cette structure d'ensemble que tant de personnages d'Asimov, comme leur créateur, ont soif de voir se dégager pour y comprendre leur place, ce « pattern » cher à Aratap (obsession que le traducteur n'a pas su mettre en relief par le choix d'un terme unique et répété).
Ce « pattern », cette structure d'ensemble, se modifie à chaque tournant de l'intrigue : on a l'impression de tout comprendre, mais un détail cloche — le lecteur ne s'en aperçoit pas toujours, mais l'auteur le sait bien, et un personnage finit par le trouver aussi — et tout est remis en question, jusqu'à un nouvel arrangement, lequel à son tour s'avère incomplet ; dans les dernières pages seulement le kaléidoscope cesse de tourner : la rosace est enfin parfaite. Un tel souci de l'intrigue bien ficelée apparente Asimov aux auteurs de romans policiers, et cette remarque ne surprendra pas ceux qui ont lu, dans la même collection, Les cavernes d'acier et Face aux feux du soleil, ou chez Denoël les deux volumes d'Histoires mystérieuses (vol1 & vol2). Mais ce livre-ci, plutôt qu'à une enquête, s'apparente à une aventure d'espionnage : de grands intérêts politiques sont en jeu : suprématie de l'empire de Tyrann, indépendance de Lingane, Néphélos ou Rhodia, ambition de tel ou tel chef de clan ; et les grands ressorts de l'action sont le colonialisme, la ploutocratie et l'autocratie, le nationalisme et la démocratie — ceci à l'échelle des planètes et non plus seulement des Etats comme maintenant. Par-ailleurs le récit d'espionnage n'est pas seulement saupoudré de quelques gadgets futuristes, bombe à radiations, rayon personnalisé, pistolets atomiseurs ; mais la science-fiction s'y allie intimement, puisque l'un des principaux secrets recherchés par plusieurs réseaux rivaux est la position d'une planète rebelle (et la solution est inspirée de La lettre volée de Poe) ; l'autre, c'est un document contemporain, que vous devinerez sans doute aussi vite que moi ; pardonnerez-vous aussi à Asimov cette grosse flagornerie en songeant qu'il est né dans un pays qui a toujours ignoré ces libertés hautement proclamées dans son pays d'adoption, même si elles y sont parfois bafouées ?
A côté de ces grands ressorts, il y a aussi les petits, à l'échelle de l'homme et non plus de l'univers, et ce sont eux qui font avancer l'histoire ; car les personnages d'Asimov ne sont pas de simples pantins incarnant ces grandes forces politiques, mais des êtres de chair et de sang, avec des personnalités souvent attachantes, dépeintes avec beaucoup de vie et d'humour (quand le traducteur n'a pas raboté tout ça !) : Artémisia, jeune princesse pétulante partagée entre l'amour de son père et le refus de la raison d'Etat ; l'autarque de Lingane qui est intelligence pure... et n'est pas pour autant sympathique (n'en déplaise à ceux qui jugent qu'Asimov, puisqu'il est si intelligent, ne peut connaître d'autres qualités) ; Aratap, dont nous avons déjà vu qu'il partage avec l'auteur le goût de classer les détails en un ensemble, et qui, bien que du mauvais bord, n'est pas sans ses bons côtés ; Gillbret, prince du sang qui bouffonne pour cacher ses dangereuses aspirations. C'est chez ce dernier qu'apparaît le plus nettement la double personnalité qui est une constante de ce livre : on la découvre aussi chez le personnage central, Biron Farrill, étudiant brusquement précipité dans le drame, dont on a tendance à attribuer d'abord certaines des réactions à l'inexpérience et à la vanité de la jeunesse, pour s'apercevoir après coup qu'elles étaient pleinement justifiées, qu'il a joué à l'adolescent et qu'en fait il est très intelligent et habile ; d'autres personnages encore jouent double jeu, mais je vous laisse le plaisir de le découvrir où et quand l'auteur le juge bon.
Car, je l'espère bien, vous allez faire, malgré Serge-André Bertrand, un succès à ce livre, incitant Jacques Sadoul, après son panvogtisme, à adopter une stratégie tous-Asimov. Hum ! hum ! je ne sais pas si on ne me le sacquera pas encore, celui-là ; en ce cas, je m'en plaindrais directement à Asimov, qui, lui, adore les calembours, surtout les siens (cf. Cache-cash dans Histoires mystérieuses). A moins qu'on ne se contente d'ajouter d'une plume dédaigneuse à la fin de ce papier : « Asinus Asimov fricat ».
Paru initialement en feuilleton, dans les pages de la toute jeune revue Galaxy, moins d'un an après la sortie de Cailloux dans le ciel, Tyrann (repris sous le titre de Poussière d'étoiles dans le second tome du Grand Livre des Robots, chez « Omnibus ») se déroule dans le même univers, mais quelques millénaires plus tôt, à une époque où l'autorité de Trantor ne s'étend pas encore sur l'ensemble des planètes habitées, et où la Terre demeure encore un monde fréquentable. C'est même un prestigieux centre universitaire, où sont envoyés des fils de bonne famille en provenance des quatre coins de la galaxie. Parmi eux se trouve Biron Farrill, dont le père est le gouverneur de la planète Néphélos. Mais cette dernière, tout comme la Terre, est sous la coupe des Tyranni, lesquels, comme leur nom le laisse supposer, ne sont pas de grands démocrates dans l'âme. En politiciens rusés, les Tyranni ont su progressivement étendre leur mainmise sur une cinquantaine de mondes, montant les uns contre les autres afin de les diviser et d'affirmer de manière incontestable leur autorité sur tous.
Pendant que son père, jugé trop peu malléable par les autorités tyranniennes, est arrêté puis exécuté, Biron Farrill échappe de peu à une tentative d'assassinat et prend la route des étoiles. Aidé par une poignée d'individus, parmi lesquels Sandu Jonti, un opposant farouche aux Tyranni, et Artemisia, charmante jeune femme qui a fui son père pour échapper à un mariage arrangé, Farrill se lance dans un périple qui le conduira à la recherche d'un monde légendaire, sur lequel une armée rebelle aurait réuni un arsenal capable de renverser le pouvoir des Tyranni.
Sans doute conscient des faiblesses dont souffrait Caillouxdansle ciel, Isaac Asimov s'est cette fois attaché à écrire un roman d'aventures classique mais efficace, en perpétuel mouvement, et offrant son lot de rebondissements. Les enjeux sont posés d'entrée, et l'intensité dramatique ne va cesser de croître au fil des chapitres. En outre, le romancier met ici en scène une poignée de personnages qui, même s'ils demeurent trop respectueux des conventions de l'époque, n'en sont pas moins attachants.
L'aspect le plus intéressant du roman reste sa description de la dictature tyrannienne, et la manière par laquelle un monde aux moyens limités est parvenu à imposer sa loi à des adversaires plus puissants que lui. Une fois encore, Asimov évite tout manichéisme lorsqu'il décrit les différentes forces politiques en présence. D'un côté, les Tyranni, malgré le machiavélisme dont ils font preuve et les méthodes expéditives auxquelles ils ont recours à l'occasion, apparaissent le plus souvent comme des adversaires dignes de respect. De l'autre, le romancier s'interroge sur les motivations de certains de leurs opposants. Car à quoi bon abattre une dictature, si le seul objectif recherché est d'en imposer une autre ? Davantage que dans cet hypothétique arsenal réuni pour lutter contre les Tyranni et que recherchent les héros, c'est dans un artefact terrien, disparu depuis des lustres, et dont la nature ne nous sera révélée que dans les ultimes paragraphes du roman, que reposent les espoirs d'émancipation de l'ensemble de ces mondes. Ce dernier élément, introduit de manière assez maladroite dans le cours du récit, est sans doute le point le moins convaincant de Tyrann, qui n'en reste pas moins un bon roman dans son ensemble, assez atypique dans l'œuvre d'Asimov.