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Planète à gogos

Cyril M. KORNBLUTH & Frederik POHL

Titre original : The Space Merchants / Gravy Planet, 1953
Première parution : Galaxy Science Fiction, juin à août 1952. En volume : Ballantine Books, avril 1953
Cycle : Les Gogos vol. 1 

Traduction de Jean ROSENTHAL
Illustration de MANDY

DENOËL (Paris, France), coll. Présence du futur n° 134
Dépôt légal : octobre 1993
Roman, 226 pages, catégorie / prix : 1
ISBN : 2-207-50134-5
Format : 11,0 x 18,0 cm
Genre : Science-Fiction


Autres éditions
   DENOËL, 1971, 1971, 1979, 1985, 1998
   in Planète à Gogos / Les Gogos contre-attaquent, GALLIMARD, 2008
   in Planète à gogos / Les Gogos contre-attaquent, 2008
   HACHETTE / GALLIMARD, 1958

Quatrième de couverture
     Il y a bien longtemps que la Terre n'est plus gouvernée par les politiciens mais par les publicitaires. À coups d'annonces directes sur la rétine ou de pin-up en trois dimensions qui vous susurrent des slogans à l'oreille. Et qu'importe si notre planète est polluée jusqu'à l'os ! La nature nous aurait-elle donné l'intelligence de synthétiser l'acide ascétique si elle tenait à nous voir manger des fruits frais ?
     Seul problème : l'espace. Où loger les consommateurs nécessaires ? Sur Vénus ! Il suffit de les persuader que l'existence y est délicieuse. Ce à quoi s'emploie M. Courtenay. Jusqu'au jour où une agence rivale tente de l'éliminer en toute illégalité — c'est-à-dire sans notification de meurtre préalable — et ébranle du même coup ses certitudes...
     Un must de la science-fiction. Après l'avoir lu, vous ne regarderez plus votre télé du même oeil.
 
 Les auteurs
 Frederik Pohl, né en 1919, est un des artisans de la S.-F. américaine tant par ses activités éditoriales que par son oeuvre considérable, couronnée par cinq prix Hugo, deux Nebula, un Campbell, un Smith et un Apollo. Il fit partie des fameux Futurians, comme Cyril M. Kornbluth (1923-1958) avec qui il écrivit plusieurs nouvelles et romans, dont Planète à gogos, le plus célèbre.
Critiques
     Je suis le plus malheureux des critiques de la galaxie tout entière. Figurez-vous que j'ai avoué à Michel Demuth au téléphone n'avoir pas aimé du tout Planète à gogos lors de sa publication au Rayon Fantastique en 1958. Et d'avancer aussitôt : « j'ai peur de n'en pas dire tellement de bien ». Depuis, j'ai relu ce roman. Misère de moi ! J'ai aimé.
     Sans doute parce que, contrairement à l'époque de sa première sortie, ce livre m'a concerné davantage. Les presque quinze ans qui se sont écoulés ont en effet modifié bien des choses en notre douce France. Qui aurait pu imaginer alors les méfaits — diront certains ! — de la publicité à outrance ? Il n'y a pas si longtemps, en effet, la télévision refusait à « Pipiou » sa minute d'antenne et l'on n'y voyait pas encore la mère-grand « Stenval ». Les autoroutes et les grands boulevards n'osaient nous livrer les mignons postérieurs des charmantes adeptes des collants « Dim ». A la radio même, il était possible d'écouter en entier les « directs » de l'Olympia ou encore « Signé Furax » sans intervention intempestive due à Zappy Max et consorts en mal de berlingots « Dop ». Bref, cette heureuse époque nous voilait trop bien l'avenir que les U.S.A. pressentaient déjà. Que tous les Pohl et Kornbluth me pardonnent ce manque de clairvoyance.
     Le recul aidant, Planète à gogos a donc pris à mes yeux un relief inattendu. Loin de le détériorer, le temps l'a au contraire embelli. Tel qu'il m'apparaît, je dois admettre, après Gérard Klein dans Satellite ou Alain Dorémieux dans Fiction, que ce roman-là est fort probablement un chef-d'œuvre et sans nul doute un livre à posséder dans sa bibliothèque. Et, quitte à me faire publiciste à mon tour, je vous recommanderai, si vous ne le possédez pas, de courir sans perdre un instant chez votre libraire habituel.

     Ayant obtenu par ce qui précède les bonnes grâces des Editions Denoël (ça peut toujours servir !), je vais à présent pouvoir m'exprimer plus complètement. Qu'y a-t-il, par exemple, de tellement gênant qui m'ait, à l'époque de la première lecture, irrité ?

     Probablement cette apparence d'excès : la pollution, la surpopulation, la crise du logement, qui semblaient si difficile à admettre. Et comme toute vérité n'est pas toujours bonne à dire, celles-là étaient certainement plus dures à encaisser. Probablement aussi ce capitalisme totalitaire que la force souterraine des « consers » ne pouvait parvenir à atténuer. Probablement, enfin, un héros qui n'arrivait pas à tourner complètement sa veste et se laissait embarquer sur Vénus au grand dam d'un lecteur finalement insatisfait.

     En définitive, un ensemble d'éléments déplaisants parce que trop réalistes ou vraisemblables.

     Mais c'est cela tout à la fois la force et la faiblesse de ce roman exceptionnel sinon unique. La pertinence de la vision avait de quoi surprendre ; elle finit par donner la nausée. L'inéluctabilité du devenir pouvait paraître forcée ; elle n'en paraît que plus effrayante. Et l'échec de Mitchell Courtenay, le héros, blesse le lecteur à un point difficilement supportable.

     En comparaison, un 1984 n'a rien de particulièrement terrifiant. Ce roman-là restera une utopie. On aurait voulu, on voudrait qu'il en soit de même pour Planète à gogos. Malheureusement, le temps qui s'est écoulé depuis sa rédaction nous a rapprochés davantage de la société qui s'y trouve décrite. La pollution commence à faire parler d'elle ; la crise du logement n'est pas prête d'être résolue ; la publicité envahit notre univers, frappe à notre porte, s'immisce dans notre vie de famille. Nous commençons à devenir les « gogos » dont il est tellement question dans cette histoire : ceux qui utilisent le parfum « H » pour être vraiment Hommes, qui boivent Vittel pour rester jeunes et se gardent un Ricard pour la soif. Ceux qui ne savent plus vivre sans les produits X, Y ou Z.

     A côté de ces éléments critiques, œuvres de Frederick Pohl dixit Kingsley Amis, les mésaventures de Mitchell Courtenay, qui seraient plutôt le fait de C.M. Kornbluth, apportent heureusement quelques notes plus gaies. Ses amours compliquées avec sa doctoresse de femme, ses problèmes au sein de la Fowler Schocken, ses ennuis avec la Taunton en général et Runstead en particulier, rendent plus supportable un climat qui aurait pu devenir très vite intenable mais qui, bénis soient P. et K., vire souvent au rose sous les traits satiriques.

     Sa déchéance sociale par exemple, qui le conduit dans les bas-fonds de la Chlorella ne devient jamais pathétique. Les « consers » eux-mêmes n'inspirent nullement la pitié. Au passage, Pohl égratigne même les « syndicats » plus aptes à favoriser la promotion de leurs élus qu'à soutenir les pauvres bougres courbés sous les jougs du travail forcené ou de l'endettement. Et c'est à ce point du récit que l'attitude des auteurs peut paraître la plus étonnante.

     Généralement, la position politique d'un auteur à l'intérieur d'une œuvre est franche. On sait fort bien situer un Poul Anderson ou un Francis Carsac par exemple (l'association de ces deux noms, je m'empresse de le dire, est tout à fait gratuite). L'écrivain joue le jeu jusqu'au bout après avoir effectué son choix. Ça n'est pas le cas avec ce roman.

     On pouvait s'attendre, en raison de l'optique adoptée à propos de la société de consommation, à ce que les « consers » ou le monde « laborieux » nous soient présentés sous leur meilleur aspect. Il se trouve au contraire que Pohl et Kornbluth ne sont pas plus généreux à leur égard. J'ai parlé un peu plus haut de promotion sociale réservée aux plus actifs. Aux autres ne s'ouvrent que les portes de la géhenne ou de la dépersonnalisation. Mitchell Courtenay lui-même nous l'explique : « Si je ne sortais pas de là dans les délais les plus brefs, je n'en sortirais jamais. Je sentais mon esprit d'initiative, ma personnalité, se dissoudre en moi, cellule après cellule... »

     Ayant ainsi appuyé leur histoire sur deux tendances opposées et pas plus rassurantes l'une que l'autre, Pohl et Kornbluth n'ont plus qu'une ressource pour se tirer d'un dilemme angoissant. Puisqu'ils ne peuvent choisir, il faut séparer. Les uns resteront sur la Terre ; les autres partiront vers Vénus... et le tour sera joué. Mais n'est-ce pas ainsi que se règlent bien des problèmes politiques : on contourne la difficulté et on renvoie tout le monde le dos au mur.

     Le problème des « gogos » n'est donc pas résolu. Celui de notre pauvre Terre non plus. Pohl et Kornbluth ne les ont pas résolus parce qu'ils restent encore à résoudre. La réponse se trouvera-t-elle dans les planètes, mince espoir que le tandem permet à ses Courtenay et autres « consers » ainsi qu'à nous autres, lecteurs ? C'est ce que je voudrais encore croire. C'est ce que ce roman-là m'a remémoré... avec près de vingt ans d'avance.

Jean-Pierre FONTANA (site web)
Première parution : 1/1/1972 dans Galaxie 2 92
Mise en ligne le : 16/11/2001


     C'est vers le milieu de l'année 1958 que paraissait en France pour la première fois le célèbre The space merchants. A cette époque, le « Rayon Fantastique » avait atteint sa vitesse de croisière et ne nous ménageait pas les chefs-d'œuvre. Celui-là, en tous cas, connaissait aussitôt un accueil chaleureux de la part des critiques autorisés : Alain Dorémieux dans la revue Fiction, Gérard Klein dans la revue Satellite. Un peu plus tard, un ouvrage publié dans la « Petite Bibliothèque Payot » allait à son tour apporter de l'eau au moulin à louanges. On peut lire dans cet Univers de la science-fiction de Kingsley Amis le passage suivant : The space merchants, l'un des meilleurs ouvrages de science-fiction à ce jour (page 147). Ceci étant posé, je me suis demandé s'il restait encore quelque chose à dire.
     Et tout d'abord, le choix de ce roman est-il justifié ? Les éditions Denoël qui ont entrepris de rééditer certains titres du défunt « Rayon Fantastique » ont eu la main heureuse avec L'Univers en folie et Guerre aux invisibles. En va-t-il de même pour celui-ci ?
     Au regard des titres possibles à venir (on espère au moins Le triangle à quatre côtés et A l'aube des ténèbres), Planète à gogos s'imposait car il fait figure de monument à la gloire de la science-fiction sociologique en général et de l'anticipation en particulier. Comme tel, il doit figurer en bonne place dans la bibliothèque de tout amateur averti. La rareté et les tarifs prohibitifs pratiqués aidant, la chose n'était peut-être pas possible. « Présence du Futur » permettra au moins à plus d'un de combler cette lacune.
     Reste à savoir si Planète a gogos a bien supporté l'épreuve du temps. Près de vingt années se sont écoulées en effet depuis sa rédaction et, pour un ouvrage comme celui-là, les années comptent double. Mais contrairement à mes prévisions — je l'avoue — l'âge a embelli l'ouvrage. Mieux, il l'a rendu terriblement actuel.
     Voilà pourtant un récit irritant. Irritant parce que trop bien fait ; irritant parce que, politiquement parlant, vraisemblable ; irritant surtout parce qu'il se révèle comme l'une des anticipations les plus pertinentes qui aient jamais été écrites.
     C'est cependant un livre plaisant. A cause d'une doctoresse froide par devant mais tellement chaude par derrière. A cause d'une fabrique de chlorella qui nous propose une curieuse parodie de la psychanalyse. A cause du parti — on serait tenté d'écrire secte — des « consers » qui ne sont pas sans rappeler les bonnes gens de la S.P.A. ou les nouveaux groupes de défense de l'environnement. A cause, enfin, d'un héros — Mitcheil Courtenay — particulièrement malmené sinon bafoué.
     Mais ce livre m'apparaît comme un « faux ». Car il accuse pour mieux défendre et se fait, de toute façon, le champion de causes gagnées d'avance. Au moins, avec Le meilleur des mondes, avions-nous de quoi épancher notre bile. Le progrès : voilà où il nous menait ! Monde de robots, monde de drogués, monde de « zombies ». Huxley s'en donnait à cœur joie. « Orginet Porginet », vous n'avez plus qu'à vous flinguer ! Mais le tandem Pohl et Kornbluth, lui, ne joue pas cartes sur table.
     Bien sûr qu'il nous critique cet univers de progrès vers lequel nous dérivons, à grands coups de « Cœur croisé de Playtex » et de « petits pois chez soi » ! Bien sûr qu'il nous expose les dérèglements d'une telle société aux immenses studios de douze mètres sur douze ! Seulement, il nous laisse conclure que le mauvais est encore meilleur que le pire et qu'à tout prendre, ça n'est tout de même pas si mal si l'on songe à ce que nous offrirait un gouvernement de « consers ».
     C'est l'éternel dilemme. Je suis communiste mais je préfère rester français parce que, là-bas, où vous savez, on ne sait pas exactement ce qui se passe. Je suis chrétien, c'est là ma gloire, car une fois mort, vous comprenez... mieux vaut prendre ses précautions. Pohl et Kornbluth ont donc préféré agir de même. Et, pour rassurer tout le monde, à la fin, hop ! on envoie tous les contestataires dans la Lune — pardon  ! sur Vénus — et comme ça, II n'y aura plus de jaloux.
     Il est donc évident que, vu sous un tel angle, le roman manque quelque peu de sincérité, et c'est dommage pour le lecteur politisé. Impossible d'accuser le duo P.-K. de fascisme, de déviationisme, de racisme... La droite comme la gauche en prennent chacune pour leur compte. Et la Terre continue de tourner.
     Pour moi qui me moque comme de l'an quarante de la guerre au Vietnam ou du XXXVIIIème congrès du syndicat des nourrices sèches, je le dis tout net — ça va en étonner certains du Courrier des Lecteurs de Fiction — , il est impossible de reprocher leur attitude à Pohl et à Kornbluth. Parce que la force de la vision l'a emporté sur la conviction politique. Et cela prouve que l'anticipation peut avoir ses lois, qu'un auteur peut exprimer des opinions contraires aux siennes, selon les circonstances. Dans Planète à gogos, tel est le cas.
     Je ne sais pas si nos écrivains sont favorables à une politique telle que celle qu'ils expriment par la bouche des « consers », mais si cela pouvait être, il n'empêche qu'ils ont eu conscience de l'inanité des efforts d'un tel mouvement. Parce que le peuple se soucie avant tout de son confort. Parce que le parti au pouvoir dispose de trop de moyens de pression sur la masse. Parce que, surtout, ce parti au pouvoir tient les rênes de la propagande.
     On peut très bien n'être pas de l'avis de la majorité — c'est d'ailleurs de bon ton ! — mais parfaitement s'y plier. Voilà ce qu'ont fait nos auteurs dans ce récit qui se révèle plus une anticipation, en se soumettant à de telles règles, qu'une utopie, en se bornant à en démontrer les excès. Ainsi, bien que rappelant 1984 ou Le meilleur des mondes, The space merchants ressortit davantage de la science-fiction telle que Galaxie ou Fiction la pratiquent.
     L'un des moindres mérites de ce roman n'est certes pas, en tout cas, d'adopter une attitude critique vis-à-vis des divers personnages comme des divers partis. Mitchell Courtenay n'a nullement les allures d'un chevalier des temps modernes, plus soucieux qu'il est de satisfaire son ambition que de rendre heureuse sa femme, le docteur Kathy Nervin. La guerre, pas toujours froide, entre la Fowler Schocken Associates et la Taunton n'épargne aucune des deux grandes firmes. Les « consers » eux-mêmes se révèlent finalement de minables arrivistes qu'un meurtre ou un attentat n'embarrassent guère.
     Satire sociale ? Certainement. Roman puissamment évocateur ? Sans nul doute. Au point que l'on se demande, en raison de sa précision, si Pohl et Kornbluth n'ont pas réalisé un voyage vers l'avenir avant de revenir près de nous pour l'écrire. De toute façon, roman d'action aux épisodes variés, aux mouvements inattendus, à l'humour sobre.
     Livre à relire sans perdre un instant.

Jean-Pierre FONTANA (site web)
Première parution : 1/8/1971 dans Fiction 212
Mise en ligne le : 1/5/2002

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