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Le Bâtard d'Orion

Pierre BARBET


Illustration de René BRANTONNE

FLEUVE NOIR / FLEUVE Éditions (Paris, France), coll. Anticipation n° 582
Dépôt légal : 4ème trimestre 1973
Première édition
Roman, 256 pages, catégorie / prix : nd
ISBN : néant
Genre : Science-Fiction



Quatrième de couverture
     Dans la plupart des sociétés terriennes, la condition de bâtard n'a jamais été enviable. Qu'en sera-t-il dans le futur ?
     Gwann d'Orion en fait l'expérience. Héritier de plusieurs Constellations Galactiques, il doit reconquérir de haute lutte son patrimoine.
     Redevenu souverain d'Orion à part entière, il tentera ensuite de percer le mystère de sa naissance, menant une enquête personnelle dans la spire galactique coloni­sée naguère par les Terriens.
     Qui est sa mère ? Il le découvrira et deviendra alors le défenseur de ses compatriotes opprimés par l'Eugénique.
     Mais un péril insidieux menace le bras d'Orion. Dans le bras de Persée, tout proche, vivent de maléfiques et mystérieuses entités. De nouveau, Gwann part à la dé­couverte.
     Reviendra-t-il de cette exploration alors que tous les hardis navigateurs qui l'ont précédé ont disparu et que les Perséians sont atteints d'un mal incurable : la progérie ?
Critiques
 
     Avice à la population ! Pierre Barbet m'a fait savoir (ou plus exactement il s'en est pris à quelqu'un d'autre, croyant que c'était moi, et le quelqu'un a fait suivre) que j'avais injustement maltraité son précédent enfant, Les bioniques d'Atria (curieux comme les auteurs écrivent volontiers des lettres vengeresses quand on dit du mal d'eux, mais trouvent si normal qu'on en dise du bien qu'ils ne remercient jamais). Si j'ai ri et fait rire (ou essayé) de ses « gonades modelées », c'est que j'ai l'esprit trop mal tourné et trop peu scientifique ; quant à « tératologique » et « édaphique », ce sont des termes que manient maintenant les enfants des écoles. Dont acte.
     Pour bien me convaincre de sa formation scientifique, Pierre Barbet m'a envoyé (ou plutôt a dédicacé à quelqu'un d'autre, qui a transmis) un numéro récent de la Revue de la Société des docteurs en pharmacie dans lequel figure une communication sur la bionique dudit Barbet (sous son vrai nom, que je me garderai bien de révéler, à l'inverse de certains Parisiens qui s'arrogent le droit de divulguer tout ce qu'ils savent, ou croient savoir, des pseudonymes — à moins que par mégarde je ne l'ai déjà fait). On y apprend que le mot fut forgé par le major Jack E. Steele en contractant « biologie électronique » et que « c'est la science des systèmes dont le fonctionnement est copié, comparable ou analogue à celui des systèmes naturels ». Après une première partie sur les détecteurs naturels des animaux, ainsi que leurs camouflages et leurs émetteurs, l'auteur montre les utilisations actuelles ou à venir de la bionique dans le domaine de la cybernétique, de l'énergie, de la mémoire et de la créativité. Il y a notamment de passionnantes remarques sur la lumière froide, ainsi que sur l'hibernation et ses possibilités pour la chirurgie et l'astronautique ; il y a aussi un schéma du moteur de Katchalsky, imitant la contraction musculaire avec une courroie de collagène passant successivement dans une solution de bromure de lithium et dans de l'eau, moteur non polluant dont Barbet a décrit l'utilisation sur Atria.
     Dans son nouveau roman, Le bâtard d'Orion, Barbet utilise à nouveau certaines des connaissances et des techniques analysées dans cet article. C'est ainsi qu'on lit page 170 : « D'étonnants circuits à neuristors lui permettaient de transférer à volonté sa personnalité sur ces cerveaux prodigieux qui, par le nombre et le volume des neurones, par la puissante énergie qui les alimentaient, pouvaient créer jusqu'à dix Gwann capables d'agir séparément avec des pouvoirs d'une puissance incalculable » ; extrapolation sur la réalité, analysée dans l'article : « L'utilisation de la supraconduction des métaux au voisinage du zéro absolu a permis aux chercheurs de réaliser des neuristors comprenant de nombreuses interconnections qui permettent de simuler le fonctionnement d'un cerveau humain. » De même, page 177, Barbet montre Gwann dotant son ami Akinos de certaines de ses capacités psychiques par « des injections d'ADN provenant des cerveaux lyophilisés de ses ancêtres défunts » ; extrapolation sur ; « L'injection de broyats de cerveaux d'animaux soumis à un réflexe conditionné permit de constater une transmission de l'entrainement acquis... preuve que la mémoire possède un support chimique transmissible à condition de respecter l'intégrité des acides nucléiques. » D'autres notions scientifiques encore sont utilisées dans Le bâtard d'Orion, où le héros sauve les humains de plusieurs constellations de la progérie (vieillissement juvénile, appelé encore nanisme sénile) avec athérome artériel, répandue par panzoospermie (« des extrêmement résistantes erraient entre les étoiles... formées d'acides nucléiques élaborés par les nuages à base de tétrapenzoporphine »), après avoir été lui-même sauvé par les anticorps extraits par électrophorèse du sang de sa bien — aimée Perséianne.
     Nul ne peut donc douter que Barbet soit un champion de la hard science. Cependant on peut regretter que ses notions de cosmographie ne soient pas à la hauteur de ses connaissances biologiques. Il parle de « climat d'une planète » (p, 75), notion aberrante, même si elle a donné naissance è un chef-d'œuvre de génie, Dune ; il écrit « sur Orion » comme s'il s'agissait d'une planète, et « Orion se trouve pris entre deux feux : au nord les planètes d'Ircas et d'Âdhim, au sud celles de Nercar » comme s'il s'agissait d'un pays ; il imagine le détroit entre Persée et Orion interdit par une barrière, comme un vulgaire canal de Suez, et démolit cette idée à la fin quand il n'en a plus besoin : « La fameuse barrière ne sert è rien : Il suffit de la tourner par le bas et par le haut » (p. 244) ; sans être très savant, on s'en était douté ! Mais Barbet va peut-être me récrire pour me démontrer que mon bon sens n'est que de l'ignorance.
     Quant à la part littéraire de son ouvrage, il s'agit de l'interprétation en science-fiction du thème du bâtard. Gwann, fils du dux d'Orion Elfred, se heurte à l'Eglise Eugénique qui, au nom de la pureté de la race, lui refuse la succession (nouvelle attaque de Barbet contre les prêtres : aurait-il la phobie anticléricale prêtée par Flaubert à un autre pharmacien ?). Il découvre au fur et à mesure de sa lutte qu'il a des pouvoirs psychiques spéciaux, et qu'il est donc non seulement bâtard mais hybride. D'où, à la page 56, cette interrogation : « Qui était-il ? » — dont je notais précédemment (Fiction 240, page 157) le caractère van vogtien. Cette question est cependant trop vite résolue par la découverte sur une planète sauvage du repère secret d'Elfred, à la fois nid d'amour et laboratoire, où le dux filait le parfait amour avec la belle héritière d'une race en voie de disparition, tout en étudiant et en conservant les sciences et les techniques de cette race. On regrettera aussi que Gwann au chapitre V, fasse la démonstration de ses nouveaux pouvoirs et de ses nouvelles connaissances par des tours à la Mandrake. Très vite, cependant, il prend conscience de sa mission : unifier les planètes humaines pour lutter contre l'ennemi non-humain venu de Persée. C'est exactement le schéma de L'empire de l'atome et Le sorcier de Linn, et Gwann-le-bâtard est le frère de Clane-le-mutant. Un thème semblable est traité (beaucoup plus subtilement) par Asimov dans la trilogie de Fondation, où « le Mulet » est peint avec à la fois plus de chaleur humaine (drame de l'être différent, son amertume et son orgueil, sa soif d'amour et de puissance) et moins d'approbation intellectuelle (car Asimov, nourri de Toynbee, sait que l'empire universel n'est pas la panacée que l'on croit). Quant à l'eugénisme, déjà critiqué dans Les bioniques, il semble que Barbet a voulu trop prouver : faire du grand maître Turdin — qui tyrannise les Orionides dans leur vie privée pour « éviter toute divergence physique et psychique » et « maintenir un modèle humain standard » (p. 62) — le complice des entités non humaines responsables du nanisme des humains de Persée et du début de dégénérescence des Orionides, c'est un peu comme si l'on attaquait Paul VI à la fois pour imposer la morale judéo-chrétienne étroite et dépassée et pour être l'instrument de Lucifer !
     Il n'en reste pas moins que ce livre, dans l'ensemble, fait meilleure figure que le précédent, car à des idées scientifiques toujours aussi intéressantes, il joint un style moins truffé de clichés, des personnages moins stéréotypés et une intrigue mieux ficelée.

     Métroeéan 2031 de Louis Thirion mérite, lui, des superlatifs et non des comparatifs : c'est un excellent livre, au style alerte et vigoureux, avec de très belles descriptions des fonds marins, des éruptions et des combats titanesques qui s'y déroulent, tout autant que des phosphorescences fugitives et des neiges de plancton. Ce décor n'est pas le simple produit de l'imagination ; celle de Thirion est nourrie de connaissances scientifiques sur le milieu marin et les techniques qui s'y appliquent : différentes espèces de plancton, animal et végétal, barrières thermiques constituées par des masses d'eau à des températures différentes qui font obstacle aux mouvements des plongeurs, mystérieux modules polymétalliques qui font des abysses une fabuleuse réserve de métaux, chambre hyperbare pouvant supporter de violents changements de pression, technique de l'écoute sous-marine permettant de reconnaître la trace sonore des animaux et des hommes comme Sherlock relevait leurs empreintes. L'intrigue est tout à la fois pleine de suspens et esthétiquement satisfaisante, puisque la situation de Jik, le héros provisoire de la première partie, Le continent, est reproduite dans la troisième partie, Le sub-océan, pour le vrai héros, Haigh-Ashbury, que nous avons suivi tout au long de la partie principale, Métroeéan, et qui est du bord opposé : l'un et l'autre sont recueillis sur le continent pourri par une jeune rebelle folle de vitesse. Ces personnages, d'ailleurs, ne sont pas tout blancs ou tout noirs, et l'auteur sait nous intéresser à leur sort sans nous les faire approuver totalement : son héros principal notamment est partagé entre les ordres qu'il doit exécuter en tant que lieutenant et ses réflexions personnelles.
     Ces réflexions, que ses supérieurs appellent son incorrigible idéalisme, l'orientent vers une vue écologique de la situation de la Terre. Pour eux, « c'est l'homme qui doit survivre... même si toutes les autres espèces doivent crever » (pp. 125-126). Haigh-Ashbury se rend compte, lui, qu'avec de telles théories l'homme est en train de transformer la planète en cimetière, où il ne pourra pas survivre lui-même : il y a des vues hallucinantes des villes ravagées par la guerre atomique de 2027, des lance-fusées encore braqués du fond des océans (p. 159), du « plateau continental triste, complètement ravagé par le chalutage intensif et les pollutions » (p. 243), de la plaine du Rhin mort transforméé en un immense marécage puant où il faut faire 1 500 kilomètres pour trouver de l'eau potable.
     Le héros est aidé dans sa prise de conscience par l'amitié de Slopy, un orque, avec lequel il a appris à communiquer : ici, Louis Thirion est plus audacieux que le Clarke des Prairies bleues et le Robert Merle d'Un animal doué de raison dans l'extrapolation sur l'intelligence reconnue aux dauphins et autres cétacés ; il en fait les égaux, voire les supérieurs des hommes, victimes de sa rapacité et de sa folie tout comme les Indiens furent spoliés et anéantis par les Blancs (il y a plusieurs allusions à ce génocide au cours du livre, qui s'ouvre d'ailleurs sur une citation de Sitting-Bull : Clarke avec son Deep range avait vu seulement l'océan du point de vue des pionniers, comme une « nouvelle frontière »). Il ne s'agit plus d'animaux, mais d'êtres pensants ; et par conséquent il n'est plus question de les domestiquer, de les dresser, mais de les éduquer, de les humaniser ; encore cette humanisation est-elle critiquée comme un viol de conscience, un colonialisme culturel, et rejetée en masse par les cétacés (ce que les autorités humaines appellent trahison) à partir du jour où ils découvrent où mène leur collaboration.
     Car l'homme est cet animal qui emprisonne les autres (comme dans The cage de Bertram Chandler, le héros s'en rend mieux compte quand les rôles sont renversés), qui les torture au nom de la science, qui violente la nature pour la plier à sa géométrie et à ses calculs (pp. 223 — 224). Il finit pourtant par se heurter à plus fort que lui : des « mutants artificiels » qui ont « compris que le développement mécanique exclusif conduisait l'humanité à la catastrophe » et ont réussi à « s'adapter à la nature plutôt que de chercher à adapter la nature » ; mais ces êtres amphibies, s'ils sont revenus à des degrés divers aux formes de nos lointains ancêtres marins, ont gardé l'esprit de conquête insatiable de l'homme, plus exacerbé encore peut-être, et en tout cas mieux armé pour réussir, et donc plus redoutable.
     C'est sur cette vision très noire du futur que se conclut ce livre très grand sous son petit volume, qui développe sans concessions, non pas avec un sec dogmatisme mais sous une forme très vivante et très prenant, toutes les conséquences de notre mise à sac de la planète dont nous sommes proclamés seuls maîtres. Tout aussi documenté que Les prairies bleues de Clarke, mais plus actuel puisqu'il prend en compte le viol des océans au lieu de faire de ceux-ci une Terre Promise, plus imaginatif encore que Verte destinée de Kenneth Bulmer (un vieux Fleuve Noir qu'il faudrait bien rééditer) puisqu'il présente une adaptation plus poussée de la race humaine à la vie sous-marine, et plus profond du point de vue idéologique, ce livre est sans aucun doute un des meilleurs Fleuve Noir depuis bien des années, en même temps qu'une des meilleures anticipations sur ce milieu bien négligé par rapport aux espaces cosmiques : les abîmes marins.

Denis PHILIPPE
Première parution : 1/3/1974 dans Fiction 243
Mise en ligne le : 18/10/2015

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