ALBIN MICHEL
(Paris, France), coll. Les Grandes traductions Dépôt légal : 2ème trimestre 1974, Achevé d'imprimer : 20 avril 1974 Première édition Roman, 352 pages, catégorie / prix : nd ISBN : 2-226-00073-9 Format : 14,0 x 20,0 cm✅ Genre : Fantastique
Une apparente tranquillité champêtre. Une poésie bucolique. Des fêtes saisonnières pleines de gaieté. L'idylle... Un jeune peintre New-yorkais, sa femme et sa fille d'une douzaine d'années réalisent enfin leur rêve : s'installer à la campagne. Ils ont trouvé par hasard la vielle maison idéale - qu'on leur a vendue pour une bouchée de pain -, dans un village où les paysans vivent encore selon les coutumes ancestrales. Leurs voisins sont des gens merveilleux, hors du commun. Il y a la veuve Fortune, avec son sac plein d'herbes, ses mains de guérisseuse, ses oracles; des personnages hauts en couleur, comme Jack Stump, le colporteur au babil intarissable, ou Missy, l'étrange enfant qui prédit l'avenir. Ou encore cet aveugle, érudit et artiste, qui a voyagé dans le monde entier...
Et pourtant, peu à peu, comme si une sagesse inconsciente nous avertissait qu'il faut se méfier d'un paradis où les voeux les plus chers seraient exaucés, nous sentons monter en nous la peur.
Pourquoi une jeune fille, quelques années plus tôt, s'est-elle tuée dans des conditions bizarres ? Pourquoi le jeune Worthy veut-il à toute force fuir la communauté ? Est-ce que ce sont vraiment de féroces " bouilleurs de cru " clandestins qui ont coupé la langue de Jack Stump ? Tout cela se passe-t-il réellement aujourd'hui dans un charmant village de la Nouvelle-Angleterre ? Quelque chose de trouble, de secret, ne nous emporte-t-il pas au contraire très loin, voici très longtemps, à l'aube mythique de l'histoire humaine, par exemple dans la secte étrange des adorateurs de Demeter ?
Page après page, Thomas Tryon nous hypnotise tout en nous faisant frisonner, nous convainc tout en nous bouleversant, nous enchante tout en nous montrant l'horrible... Conteur admirable, pénétré d'un profond sentiment de la nature mais en même temps attentif à sa mystérieuse signification spirituelle, il reprend dans La Fête du maïs, en les élargissant et en les enrichissant, les thèmes poétiques et ténébreux du célèbre Visage de l'autre.
Voici un livre réédité en poche, initialement paru dans sa version française chez Albin Michel en 1974, et dans une collection non spécialisée si je ne me trompe pas (ou bien me gourre-je ?). C'est, aussi, un livre dont je n'avais jamais entendu parler, et pour lequel je n'ai guère lu de comptes-rendus, critiques, et toutes ces sortes de choses, dans la presse, générale ou spécialisée, depuis sa réédition. C'est bien dommage.
C'est bien dommage car voici un très bon roman, comme personnellement je les aime, c'est-à-dire (accrochez-vous à vos godasses) : touffu, dense, généreux, limpide, en douceur, riche, sournois, inquiétant, solide, charpenté, torrentueux, carré, magistral, glissant... et puis aussi cetera. Vous l'avez remarqué : tous ces adjectifs qualificatifs qualifient un peu dans tous les sens et lesdits sens sont parfois contraires. C'est que les termes ne sont pas destinés au même niveau de réflexion.
C'est un roman fantastique, et là encore aux deux sens du terme : le sujet et la qualité. Le thème n'en est pas super-original mais alors là on s'en fout complètement, et de toute façon on ne s'en aperçoit que trop tard, et puis ce n'est pas le thème qui fait la valeur de l'ouvrage dans ce cas précis. C'est la manière. La façon dont tout ceci nous est proposé, décacheté et suggéré à petites touches précises, d'une diabolique habileté. C'est le voile déchiré peu à peu, sans fracas, juste un petit chuintement qui grince parfois, quand il faut, uniquement quand il faut, et nous fait des nœuds dans nos nerfs de lecteurs piégés. La qualité de ce texte, c'est la présence des personnages, capables de tomber tous vivants hors des pages si vous ne prenez pas la précaution de bien refermer le livre ; c'est, traduit avec de bêtes mots au service de tout un chacun, leur poids de sang et de chairs. C'est l'aura du mystère absolu, parce que réel, qu'ils promènent avec eux, derrière leurs paroles et leurs gestes, et qu'on découvre parce qu'ils ont fait un geste de trop, dit un mot de trop. Par mégarde. C'est également le poids du paysage au sein duquel se meuvent ces personnages, c'est l'odeur de la terre, la verdeur lourde de ce coin de Nouvelle-Angleterre, c'est l'immuable défilé des saisons et des coutumes étranges des habitants de ce morceau d'univers — coutumes très étroitement liées aux saisons.
Ce qui fait la valeur de ce livre, c'est son atmosphère : rien de brutal, ni de violent, apparemment. Un masque lisse. Mais sous le masque, attention ! Et lorsque ça craque enfin, comme un orage qui soulage et terrorise en même temps, on se dit : Bon Dieu, oui ! (ou fichtre ! si l'on a un langage châtié). C'était là, ça grouillait, et je n'avais rien vu !
Dans la présentation du livre, il y a cette phrase : Page après page, Thomas Tryon hypnotisa le lecteur, tout en le faisant frissonner, et l'entraîne peu à peu aux confins de l'extraordinaire.
Il n'y a pas d'autres mots. Enfin, si, il y en a, mais ceux-là suffisent amplement et ils sont justes.
L'histoire ? Elle commence comme ça : Un peintre de New York, sa femme et leur jeune fille de douze ans réalisent leur rêve en s'installant à la campagne. Ils trouvent une vieille — mais superbe — maison, dans un village perdu de la Nouvelle-Angleterre...
Et voilà. Doucement, abominablement, c'est parti...