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Le Musée noir

André PIEYRE DE MANDIARGUES

Première parution : Paris, France : Robert Laffont, 1946

Présenté par Guy DUMUR
Illustration de Max ERNST

UGE (Union Générale d'Éditions) - 10/18 (Paris, France), coll. 10/18 précédent dans la collection n° 136 suivant dans la collection
Dépôt légal : 3ème trimestre 1963
Réédition
Recueil de nouvelles, 192 pages, catégorie / prix : nd
ISBN : néant
Format : 10,8 x 17,8 cm
Genre : Fantastique


Quatrième de couverture

Que deviendraient les littératures les plus étranges des XVIIIe et XIXe siècles unies aux tendances les plus audacieuses de notre époque ? Quels seraient les effets d'une vaste culture, des curiosités les plus diverses mises au service de l'imagination, de l'humour et du drame ?

C'est ce que nous apprendront les récits d'André P. de Mandiargues, écrits pour la délectation de l'esprit et des sens.

Sommaire
Afficher les différentes éditions des textes
1 - Le Sang de l'agneau, pages 11 à 50, nouvelle
2 - Le Passage Pommeraye, pages 51 à 66, nouvelle
3 - L'Homme du Parc Monceau, pages 67 à 80, nouvelle
4 - Mouton noir, pages 81 à 99, nouvelle
5 - Le Tombeau d'Aubrey Beardsley, pages 101 à 138, nouvelle
6 - Le Pont, pages 139 à 159, nouvelle
7 - Le Casino patibulaire, pages 161 à 173, nouvelle
8 - Guy DUMUR, Mandiargues ou les droits de l'imagination, pages 175 à 187, postface
Critiques

    Deux livres de Mandiargues ont paru à quelques mois d’intervalle : La motocyclette, son premier roman depuis Le lis de mer (1958), et une réédition en livre de poche de son premier recueil de nouvelles, Le musée noir, devenu introuvable. Deux publications qui ont attiré à nouveau l’attention sur cet écrivain singulier, que son isolement hors du commun met à l’abri des modes littéraires.

    La motocyclette est un roman d’apparence réaliste, en ce sens qu’il est situé dans un monde bien actuel et concret, lequel est décrit avec une précision que ne désavoueraient pas les tenants du nouveau roman. Mais on sait que, chez un écrivain comme Mandiargues, le réalisme en soi est une chose qui ne signifie rien. Au contraire, l’évocation la plus terre-à-terre nous entraîne, par d’imprévisibles détours, aux confins de l’insolite.

    Cet insolite, comme il est de règle chez Mandiargues, revêt ici les couleurs d’un érotisme baroque et théâtral, à la valeur magique et rituelle. Plus encore qu’un vertige des sens, l’amour charnel, tel que l’auteur le transfigure, est une maïeutique des esprits. L’érotisme devient clé de la connaissance, mode d’approche mystique, ce qui n’est pas sans rejoindre la conception de la sexualité dans les sociétés primitives. Vision de poète, vision quasi-religieuse aussi : le héros de Mandiargues sacrifie à Eros comme on sacrifie à la divinité.

    Ainsi voyait-on, dans Le lis de mer, le thème de la défloration considérée comme rite de passage : une jeune fille, Vanina, s’apprête avec respect à sa première nuit d’amour, en accomplissant toutes les phases d’un cérémonial pareil à celui d’un culte. De même, dans La motocyclette, une jeune femme, Rébecca, voyage vers son amant et se prépare en esprit à cette rencontre, tout en revivant par la pensée celles qui l’ont précédé, dont chacune était un pas de plus vers la libération du moi par l’extase.

    Attente de l’amour considérée comme l’attente du dieu, rôle initiatique de la sexualité, qualité mythique de l’acte charnel : ces symboles ont une qualité freudienne qu’il serait facile de démonter. Mais l’œuvre de Mandiargues ne se résout pas à un mécanisme. Ce qui compte, c’est l’univers édifié par lui autour de ces thèmes-clé, cet univers pompeux et oppressant, dont la lignée est à la fois élizabéthaine et romantique.

    De cet univers, La motocyclette donne l’image à ce jour la plus achevée. Le registre sur lequel le roman se joue est plus riche que dans les précédents textes de l’auteur. L’éventail des significations cachées, la symbolique interne, y sont plus denses. Mandiargues est parvenu au stade où sa thématique est rigoureusement contrôlée, où il domine entièrement ses moyens d’expression. D’où ce livre de virtuose, construit comme des variations symphoniques et « monté » comme un film, qui donne à la lecture une remarquable impression de plénitude.

    Œuvre métaphorique, La motocyclette ressemble à une tapisserie où seraient tissés, sous le motif apparent, des réseaux de fils invisibles. Autour de l’armature concrète des événements, est édifié tout un système d’allusions, de références, d’allégories, qui donnent au livre sa véritable dimension poétique. Le principal symbole est celui de la motocyclette elle-même, ce noir engin monstrueux sur lequel Rébecca traverse la Forêt-Noire pour aller rejoindre son amant. Personnification des forces déchaînées de l’amour et de la mort (le premier menant invinciblement à la seconde), la motocyclette est, on peut le dire, le personnage essentiel de l’œuvre.

    La place manque pour dresser une analyse détaillée des autres significations internes. Tout au plus peut-on insister sur l’importance du symbolisme des couleurs : noir, blanc, rouge, qui jalonnent la route de Rébecca comme autant d’obscurs points de repère, autant de présages concertés. Le destin est en marche dès la première ligne comme une mécanique minutieusement remontée. Et toute l’odyssée de Rébecca n’est que le lent déroulement de cette mécanique, jusqu’à l’écrasement final et la jonction cosmique avec un univers dionysiaque.

    La langue superbe de Mandiargues, enfin, force l’attention. Son style a mûri et s’est délivré de ce qu’il avait de plus contestable : la préciosité. Non qu’il ait renoncé à son goût des périodes surchargées. Mais la précision des termes, la netteté et la pureté des images, se sont chez lui accrues. Moins recherchée qu’autrefois, moins ouvertement baroque, son écriture frappe de façon plus forte. Et la phrase reste somptueuse, parée de joyaux jetés aux yeux du lecteur.

 

    Le panthéisme orgiaque de La motocyclette est l’une des clés de l’univers mandiarguien ; l’autre clé est cette « surréalité romantique » qu’on trouve dans des nouvelles comme celles qui composent Le musée noir. Publié en 1946, ce recueil marquait à l’époque les débuts de l’auteur. Sa reprise aujourd’hui dans une collection de livres de poche est un événement intéressant, car c’est la première fois que Mandiargues est offert au grand public.

    Des sept nouvelles ici réunies, l’une surtout, Le sang de l’agneau, est un chef d’œuvre. Ce texte est exemplaire à plus d’un titre. D’abord parce que s’y trouvent préfigurées toutes les composantes des œuvres ultérieures de Mandiargues. Ensuite parce qu’y est poussée fort loin cette alliance, chère à l’écrivain, de la poésie et de la cruauté, d’un réalisme cru et d’un romantisme forcené.

    Ce que Mandiargues appelle dans sa préface l’« envahissement de la réalité par le merveilleux » définit bien la démarche de chacun des autres contes. Ce qu’ils ont de remarquable, c’est justement leur réalisme externe, la véracité concrète de leur ambiance. Rien de flou ni de vaporeux, pas de décors de rêve. Au contraire, c’est le plus souvent la contemplation d’un endroit réel mais singulier qui opère la genèse du conte, en déclenchant dans l’esprit de l’écrivain le mécanisme de l’imaginaire.

    Un exemple typique de ce processus est Le passage Pommeraye, lequel existe réellement à Nantes et, visité un jour par Mandiargues, le mit dans le « climat propice à la transfiguration des phénomènes sensibles ». La majeure partie du conte tient dans la description des lieux, faite avec une minutie maniaque qui évoque à la fois Flaubert et Raymond Roussel. Le passage Pommeraye de la réalité est bien tel que le montre Mandiargues, mais, par une transmutation analogue à celle d’un peintre, l’image qu’il en donne, quoique fidèle, est déjà fantastique. Il suffit ensuite d’un léger coup de pouce pour que le fantastique fasse définitivement son intrusion. Et pourtant, cet « envahissement par le merveilleux » s’est effectué sans qu’à un seul instant soit perdu de vue le décor bien réel qui en est le théâtre.

    Mandiargues est donc, à sa manière, et au sens le plus pur de l’expression, un écrivain de réalisme fantastique. On pourrait le définir comme un homologue littéraire de Léonor Fini. Chez celle-ci aussi, des décors trompeusement réels, peints avec la précision de la vérité et les couleurs des natures mortes, nous entourent comme un paysage inéluctable d’où peuvent surgir tous les sphinx et tous les secrets.

Luc VIGAN
Première parution : 1/2/1964 dans Fiction 123
Mise en ligne le : 31/12/2023

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