J'ai lu les Sept Contes gothiques. Ils sont étincelants, ciselés avec précision, et chacun fait penser à une œuvre d'art parfaitement préméditée. La sonorité étrange et archaïque de leur admirable prose permet de comprendre que l'auteur écrit dans une langue qui n'est pas la sienne. Un brasillement éclatant et sulfureux en émane... Si je voulais m'arracher à ma propre vie, je me plongerais dans les Sept Contes gothiques...
En toute objectivité, nous signalerons que plusieurs critiques ont salué comme un événement les « Sept contes gothiques », d’Isalt Dinesen, traduits du danois (Stock). Il est vrai que ces critiques sont de la race de ceux qui se croiraient déshonorés s’ils lisaient une page de Bradbury, de Lovecraft ou de Jean Ray. Pensez, ce ne sont pas des auteurs « sérieux ». Tandis que ces « Contes », eux au moins, font sérieux – oh ! combien !… Quant à nous, il nous a été impossible de résister à l’ennui pesant que dégage ce livre non moins pesant (300 pages grand format en petits caractères !). Le fantastique s’y mêle au romantisme, le romantisme au baroque, le baroque au précieux, et le tout à l’insupportable. La formule est celle des récits « à tiroirs ». L’auteur raconte l’histoire de personnages qui se racontent des histoires : soit leur propre histoire, soit l’histoire d’autres personnages qui, à l’occasion, d’ailleurs, se racontent également des histoires… Vous en avez assez ? Nous aussi !
Et Chaucer ? diront les lettrés. Et Cervantès ? nous rappelle de même Marcel Schneider dans sa préface. C’est entendu. Mais : premièrement, Mme Isak Dinesen (car c’est une dame) n’est ni Chaucer ni Cervantès, et, deuxièmement, user d’une telle formule au XXe siècle, même si on prétend se rattacher à la tradition, est un non-sens (ce qui n’a pourtant pas empêché Jean Ray d’en faire le prétexte d’un livre remarquable : « Les nouveaux contes de Canterbury »).
Mme Isak Dinesen est de la race des écrivains qui ne font pas de coupures et qui ont la rage de tout dire. Nous décrit-elle plusieurs personnages réunis dans un lieu quelconque, que cette description lui nécessite au minimum une demi-douzaine de pages : aspect physique des personnages, ce qu’ils pensent, ce qu’ils sont, la vie qu’ils ont menée, celle qu’ont menée leurs parents, etc. Et pourquoi pas la couleur des mitaines de la grand-mère et l’âge auquel la petite sœur a mis sa première dent ?… Comme l’opération se répète chaque fois qu’un nouveau personnage intervient (c’est-à-dire chaque fois que l’un des précédents raconte une histoire qui… voir plus haut) et comme, d’autre part, tous ces récits parallèles, perpendiculaires ou opposés par le sommet accroissent d’après une progression arithmétique les possibilités de bavardage de l’auteur, on n’est pas surpris en définitive de s’apercevoir, au bout d’un conte de 30 ou 40 pages, qu’il ne s’y est pas passé trois événements seulement notables. Et les quelques idées attachantes qui apparaissent çà et là (comme la hideuse métamorphose de l’abbesse dans « Le singe », ou le dîner des deux vieilles filles avec un fantôme dans « La soirée d’Elseneur ») sont tellement noyées dans ce déluge verbal et cet enchevêtrement qu’elles perdent jusqu’à l’apparence de leur attrait.
Marcel Schneider a excusé par avance Mme Isak Dinesen en disant que, « en conteur-né et en grande dame, elle ne s’abaisse pas à stimuler l’attention du lecteur par une présentation qui sente l’écrivain de métier ».
Hélas ! comme dit justement le proverbe : « Chacun son métier et… » (*).
(*) Il serait injuste de ne pas mentionner que la traduction de Mlle Gleizal est pleine d'élégance.
Alain DORÉMIEUX Première parution : 1/6/1955 Fiction 19 Mise en ligne le : 31/3/2025