La Comédie inhumaine est un gigantesque écheveau de destinées humaines frappées au coin du fantastique. Echeveau que Michel Pagel dénoue peu à peu, tout en tissant des romans ou nouvelles horrifiques et vénéneux, où même la plus insignifiante des réalités cache des dessous atroces.
La Comédie Inhumaine s'enrichit ici d'un nouveau tome, sous le titre prometteur de L'ogresse ; celui-ci se déroule en milieu rural, comme une bonne partie du cycle. C'est à Fraussac que vivent les protagonistes de ce roman, comme Béatrice Bossis, dont deux des sœurs ont déjà connu des morts horribles dans de précédents opus. Mais ici l'action s'articule davantage autour d'une grande demeure où le jeune Claude, un adolescent muet, s'apprête à accueillir sa nouvelle préceptrice. En effet, son comportement asocial l'a privé jusque là de toute relation suivie avec ses éducateurs. Et ce ne sont pas l'incompréhension de sa mère, Dominique, ni l'indifférence méprisante de son beau-père, Henri, qui arrangeront les choses. Aussi la tâche d'Isabelle, venue s'occuper de Claude, ne s'annonce-t-elle pas de tout repos. Surtout après qu'elle a oublié de fermer la porte de sa salle de bains, permettant involontairement à Claude de se rincer l'œil, lui qui jusqu'alors avait été élevé dans une grande pruderie par sa mère et la gouvernante.
C'est alors qu'apparaît Claude, une fille du même âge que Claude, qui peut se matérialiser où elle le souhaite, aguiche tous les hommes qu'elle croise et demande à des motards, les Ogress' Hunters, de lui ramener des jeunes enfants qu'elle tue. Et puis, au-delà des habitants de la grande demeure, il y a aussi Béatrice Bossis, venue se reposer à Fraussac car elle est enceinte. Elle est accompagnée par son mari, Alain, un motard qui est accueilli comme un frère par les Ogress' Hunters. Et encore Luc, un peintre qui vient de se séparer d'avec sa femme car il ne la satisfaisait plus sexuellement.
L'origine de Claude (la jeune fille) et l'explication de ses actes seront révélées petit à petit tout au long de l'enquête d'Isabelle. Car, là où d'autres ont échoué, la jeune femme parviendra à entamer le dialogue avec le jeune garçon.
L'intrigue progresse efficacement au fil du roman, sur le principe de courtes scènes réparties entre les différents personnages. L'horreur va croissant, à mesure que les crimes commis sont de plus en plus atroces et inévitables. Et comme Michel Pagel prend le temps de brosser des portraits de personnages convaincants, sans forcer le trait, on se prend à craindre pour eux. C'est du reste la principale qualité de ce roman, et au-delà, de l'ensemble de la comédie inhumaine : l'épaisseur et la justesse des personnages. L'autre qualité du roman, c'est sa construction : les indices qui permettent de comprendre l'apparition de Claude sont donnés tout au long du livre, et l'intrigue se développe implacablement pour culminer dans un climax rituel de ce type de romans fantastiques. Malgré ses 470 pages, ce livre se lit sans décrocher, comme le dit Daniel Conrad dans une préface bienvenue.
Et l'on se prend à guetter avec impatience le prochain opus de la Comédie inhumaine, ou tout simplement le prochain livre de Michel Pagel, l'un des deux ou trois meilleurs écrivains de ces dix dernières années dans le genre qui nous intéresse.