Sous ce titre aguichant et sous une jaquette qui ne l'est pas moins, se cache un roman assez moyen qui mêle à un argument fantastique des prétentions satiriques. Le thème pourtant avait de quoi séduire. Au beau milieu d'une croisière sans histoire, un illuminé, Phosphore Noloc, et quelques acolytes s'emparent du navire qui les porte, débarquent la moitié des passagers, transforment l'autre en otages et manifestent l'intention de traverser l'Atlantique. Car, selon Phosphore Noloc, sorte de Le Trouhadec à l'envers, l'Amérique est un gigantesque bluff historique, monté de toutes pièces par les Espagnols et auquel ont adhéré ensuite les gouvernements d'à peu près toutes les nations et toutes les puissances de ce monde, du Vatican au Parti Communiste. Des flottes de tous les pays croisent aux limites de l'océan pour empêcher que la vérité ne soit découverte. Et, au-delà, c'est le vide, le bord du plateau, le néant.
Phosphore Noloc, ayant démonté les rouages de l'Histoire pour en élaborer une autre qui est à peine moins convaincante, entreprend de la vérifier et d'aller y voir. Il met donc le cap à l'ouest. Après quelques aventures dans la tradition maritime, Noloc et ses compagnons, contraints d'abandonner le navire, poursuivent leur expédition en endossant des tenues de plongeurs sous-marins assez particulières, puisque le substance dont elles sont faites tient tout liquide à distance. Ainsi équipés, ils affrontent les indigènes d'une île qui les prennent quasiment pour des dieux et surtout un monstre marin, grand comme une montagne, avant d'atteindre le bout du monde. Victime de sa curiosité, Noloc sombre dans le néant. Ses compagnons, recueillis par la flotte qui veille sur le Secret, y sont incorporés de force et défendront à leur tour le mystère de l'Amérique contre tous les curieux.
Quelques thèmes fantastiques, une certaine verve mais beaucoup de lourdeur, des intentions satiriques qui égratignent tout à la fois religion, racisme, communisme, droite et gauche dans le ton très durand-dupont-chacun-chez-soi-les-vaches-seront-bien-gardées qui plaît d'habitude assez au public des chansonniers, ne font pas de ce livre un bon livre. On y retrouvera, à quelques mots d'auteur bien venus, l'homme de théâtre que Pierre Gripari, qui a obtenu ces dernières années un beau succès sur la scène avec Lieutenant Tenant, n'a jamais cessé d'être. Les acteurs, à la scène, peuvent souvent rattraper de petits défauts de finition. Les pages imprimées, jamais. Tout compte fait, le principal défaut du roman reste d'avoir été bâclé. L'erreur de son auteur est d'avoir confondu légèreté et facilité. Un exemple, le nom de son héros : Noloc, c'est-à-dire Colon à l'envers. Est-ce drôle ? Pauvre Christophe.
Luc VIGAN
Première parution : 1/3/1965 dans Fiction 136
Mise en ligne le : 21/9/2023