« Le prix de la liberté, c'est la souffrance, le mal. Car la liberté des loups est la mort des agneaux. »
(Wolfgang Sofsky, L'ère de l'épouvante, cité p.7)
Soyons clair : ce roman a un titre de bit-lit, la couleur évidemment noire de la bit-lit, une couverture typée bit-lit et pourtant... il ne s'agit aucunement de bit-lit ! Ni même d'ailleurs de fantastique.
Car contrairement à ce que sa présentation nous incite à croire, il n'y a dans cet ouvrage pas l'ombre d'une queue de chauve-souris et encore moins de romantique mort-vivant buveur de sang. Les « vampires » qu'on y rencontre sont des êtres humains « presque » comme vous et moi, à ce détail près qu'ils ont été « initiés » et ont fait de la souffrance un moteur vital, une source d'extase infinie.
Conquérants impitoyables, seigneurs de guerre sanguinaires ou bourreaux ordinaires, ils ont écrit l'Histoire du monde telle que nous la connaissons. De l'Assyrie antique à l'Afghanistan moderne, en passant par les steppes mongoles sous Gengis Khan, l'Allemagne nazie, la Roumanie de Vlad Tepes puis celle de Ceaucescu, ces hommes furent et demeurent hélas bien réels, même si « aucune légende n'est plus proche de leur réalité que celles des vampires... » (p.166)
A travers cette confrérie maléfique venue du fond des âges et placée sous le signe du dragon, Jean-Christophe Chaumette s'interroge sur les origines du Mal. Face au triste spectacle que nous offrent l'Histoire et les actualités, comment vivre dans cet « océan du Mal alimenté par le fleuve de la conscience humaine... » (p.292) ? Et comment ne pas penser que s'il existe un dieu, « il ne pourrait être que particulièrement avide de sang. » (p.212) ? Dès lors, le récit bascule dans la science-fiction, avec la rationalisation d'une possible entité responsable du Mal sur Terre – tout comme dans l'Épicentre de Claire et Robert Belmas. N'en dévoilons pas plus...
Sur le plan formel, Le Dieu vampire est construit comme un thriller où l'auteur nous entraîne à un rythme rapide en divers lieux aussi variés et intrigants que pittoresques : des fouilles archéologiques en Mongolie où l'on recherche le tombeau de Gengis Khan grâce à des rats « téléguidés » ; le cabinet d'un psychiatre suisse où l'on étudie un étrange cas de personnalités multiples ; ou encore un monastère roumain où se cache un professeur d'Histoire bien informé... On y croise toute une galerie de caractères attachants – dont l'étonnante Maria Jésus, une vieille chilienne qui, après s'être débarrassée d'un mari tortionnaire au service de Pinochet, a décidé de jouer les Buffy...
La grande habileté de l'auteur fait qu'il réussit à éviter le côté artificiel que peuvent prendre certains thrillers trop méthodiquement construits selon des recettes éprouvées. Les personnages acquièrent sous sa plume une véritable épaisseur, même s'ils n'effectuent qu'un bref passage — comme certains des protagonistes que l'on aurait pu penser principaux et qui se voient éliminés au profit de nouveaux venus inattendus. La maîtrise du récit s'avère ainsi parfaite et le suspense irréprochable.
Bref, Le Dieu vampire est un excellent thriller qui revisite l'Histoire de la souffrance humaine avec un intéressant éclairage science-fictif, de manière aussi intelligente que divertissante.
Espérons que sa présentation trompeuse ne lui aliène pas les lecteurs réfractaires aux vampires : le grand public friand de thrillers historico-ésotériques et les amateurs de science-fiction devraient également l'apprécier.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 6/6/2010 nooSFere