Des chiens extraordinaires, munis de prothèses de mains humaines, marchant sur leurs pattes arrière, intelligents et doués de la parole. Les chiens-monstres, fruit des obscurs travaux d'un savant fou et génial. Élégants et riches, leurs manières raffinées cachent pourtant un terrible secret. Seule Cleo Pira, une jeune journaliste qui a gagné leur confiance, sait ce qui se trame dans l'immense et luxueux château que les chiens-monstres ont fait construire au cœur de la ville.
Née en Suisse, Kirsten Bakis a grandi aux États-Unis. Elle vit actuellement à New York. Cet ouvrage est son premier roman.
Critiques
Journal d'un protagoniste, documents « anciens » voire livret d'opéra évoquant un proche passé se mêlent au récit d'une journaliste-témoin censée raconter l'histoire de chiens humanisés, arrivés au début du xxie siècle à New York. On pense au docteur Moreau. Leur création, d'après les recherches d'un savant détraqué voulant créer une armée parfaite pour Guillaume II, puis contre lui, ne relève pas vraiment du steampunk, mais avec sa fuite au nord du Canada où ses héritiers continuent son œuvre en vase clos, on retrouve l'ombre du xixe siècle vernien. La révolte des chiens y a quelque chose de Métropolis ou de La Guerre des salamandres. Et la folie dégénérative qui s'empare d'eux pourrait évoquer Des fleurs pour Algernon. Mais tous ces rapprochements risqueraient de dissoudre l'unité du roman, sa cohérence, alors qu'ils ne sont là que pour dire que l'on aurait tort de passer à côté, même s'il s'agit de littérature générale. L'auteur a emprunté au fantastique l'irruption de l'étrange et l'insistance sur l'absence de traces laissées après coup, et à la SF la rationalité réelle ou apparente du propos, mais l'alliage, qui pourrait être problématique, est parfaitement réussi, et pour l'amateur, et sans doute pour le grand public qui l'avait bien accueilli avant cette réédition.
Le 8 novembre 2008, un hélicoptère se pose à New York. A son bord, un étrange individu : un chien de très haute taille, se tenant debout sur ses pattes arrières, habillé d'un long imper de l'armée prussienne et muni de mains gantées. S'agit-il d'un coup médiatique, d'une fumisterie de mauvais goût ? La réponse est oui pour le coup médiatique — mais la réponse est non quant à la fumisterie. Car le nouvel arrivant n'est que le porte-parole de près de cent cinquante chiens géants et intelligents qui ont décidés de s'installer à New York. Et de le faire à grand renfort de publicité.
A la fin du dix-neuvième siècle, un chirurgie génial mais pervers avait convaincu le futur Wilhelm II de lui financer un laboratoire secret de recherches. Augustus Rank, bel exemple de ce que l'on nomme un savant fou, concevait le projet de créer une race de chiens modifiés qui serait la base d'une formidable armée : des soldats canins à l'intelligence amplifiée pour leur permettre de comprendre les ordres et d'utiliser les armes, mais encore suffisamment chiens pour qu'ils soient un chair à guerre sans peur et aisément renouvelable.
En 2008, après que leur race ait été développée dans l'isolement d'une colonie perdue dans le nord du Canada, les chiens-monstres se sont révoltés contre leurs maîtres humains, ont mis à sac leur village natal de Ranstadt et ont décidé de rejoindre la civilisation des hommes. Mais le secret de la fabrication de leurs prothèses (boîte vocale et mains artificielles) comme celui de la chirurgie leur donnant leur intelligence, a été perdu dans la révolte. Et Ludwig von Sacher, l'historien des chiens-monstres, craint que ce soit jusqu'à leur sapience qui soit menacée par la dispersion de l'esprit de leur créateur... Déjà, certains chiens-monstres sentent leur raison s'effilocher.
Un puissant effet de nostalgie infuse cette œuvre. L'auteur nous fait comprendre très adroitement, dès la première page, que les chiens-monstres étaient condamnés à l'extinction. Tout son récit n'est donc qu'un long flash-back — et même, deux flash-backs tissés ensemble, puisqu'aux réminiscences de la journaliste Cleo (seule choisie parmi les humains pour servir de témoin aux chiens-monstres) s'ajoute le travail historique de Von Sacher sur le parcours de Rank, de ses suiveurs et du prophète qui mena la communauté chiens/hommes au massacre.
Tenant moins de L'île du docteur Moreau que de Demain les chiens et des Fleurs pour Algernon, ce roman inattendu (première publication de la secrétaire d'une église de Manhattan) est un bijou de sensibilité, d'humanité et d'intelligence. Rédigé d'une plume vive (la lecture est rapide et le final frénétique — un beau moment de folie), Les chiens monstres pourrait bien entrer rapidement dans le panthéon des œuvres de la SF — et ce, en dépit de sa publication sans étiquette. Relevant tout à la fois et au choix du steampunk, du roman social, du réalisme magique et de la fiction spéculative, Les chiens monstres est aussi inclassable qu'attachant.