1 - (non mentionné), Le Temps ? Une chimère, pages 256 à 256, dictionnaire d'auteurs
Critiques
Passons vite sur les premières pages du livre, car elles nous donnent des sueurs froides : peur d'aller de lieu commun en lieu commun jusqu'à la fin du roman. Ah ! ces mauvais conducteurs italiens qui écrasent les passants et brûlent les feux rouges ah ! ces couples d'Américains moyens aux problèmes sentimentaux Peur de lire d'autres originalités comme :
« Padway marcha vers un des piliers auquel il donna un grand coup de poing. Il se fit mal.
— Merde ! lança Padway, en considérant ses phalanges meurtries. Je ne dors pas, pensa-t-il. Tout ceci est trop solide, trop consistant pour un rêve. »
On sent que l'auteur s'est débarrassé de l'introduction pour entrer plus vite dans son domaine préféré : le passé (c'est normal pour un archéologue), même au prix de la vraisemblance, sa description d'une chute dans le temps n'étant pas du tout convaincante. Heureusement que la peinture du passé (Rome, VIe siècle) le libère. Libération vécue sur plusieurs plans : au niveau humain (c'est symbolique que le héros puisse enfin se laisser pousser la barbe) et au niveau de l'écriture (tout devenant plus naturel, les descriptions, les dialogues).
L'histoire est des plus simples : un roman d'aventures, de cape et d'épée, ou : guide de la débrouillardise. Agréable à lire, entraînant, trop entraînant, hélas. Car si on lit un peu attentivement, on s'aperçoit qu'une idée « morale » » sous-tend tout l'ouvrage, et pas n'importe laquelle : il faut conjurer les ténèbres (leitmotiv), c'est-à-dire plus précisément : Il faut que la lumière de la société occidentale capitaliste américaine (d'où vient Martin Padway) élimine les ténèbres d'une société primitive sous-développée. En replaçant cela dans un contexte plus actuel, on a le combat type de la société américaine (ou des autres pays soi-disant modernes) contre les régions du tiers-monde, sous prétexte de l'aide qu'elle leur apporte (pour leur bien).
Padway, en effet, se contente de transposer dans cette société de ténèbres tous les systèmes américains de l'accession au développement, qui « éclairent » le monde... Les deux premières personnes qu'il rencontre et avec qui il s'entend sont, fait significatif, un banquier et un préteur. Et ainsi se développe la morale bourgeoise, qui fait qu'un ouvrier volant son patron est un ouvrier perverti, un « méchant » capable de tout, même de lever son couteau sur lui, vous vous rendez compte !
Quelle est cette lumière qu'apporte le colonisateur ? Celle de l'argent, des lois de l'offre et de la demande, des sociétés à action, des abrutissantes méthodes d'élection truquée, de la publicité (« Voulez-vous un enterrement adorable ? »). Tout ce qu'il faut, n'est-ce pas, pour donner le bonheur. Cette lumière qui, pour brûler, utilise des moyens que nous connaissons trop bien. L'auteur veut nous donner une fausse image du héros. le décrit comme « désespérément apolitique »... et le voici qui se met à diriger toute la vie politique de ce pays conquis, avec machiavélisme (emprisonnement, chantage, usage de la force, mensonges). Il le donne comme « désespérément pacifique », et Padway déclare la guerre à tous les royaumes alentour, réinvente des armes, utilise des méthodes modernes de combat, glorifie les héros...
Sans parler de l'épanouissement sexuel que pourrait nous donner l'exemple de Padway, homme sain entre tous : « Les filles, il en épouserait bien une un jour, mais il lui fallait s'inquiéter de bien d'autres choses ». Epanouissement qui fait que la seule personne vivant suivant ses désirs sera une « méchante » elle aussi, accusant injustement de sorcellerie un héros...
Il faut noter d'ailleurs que ce sauveur de la patrie goth se moque parfaitement de celle-ci : il dit lui-même qu'il aurait pu tout aussi bien choisir le voisin... Son intention est de « conjurer les ténèbres » par pari envers lui-même, par volonté démiurgique de changer l'histoire, pour son plaisir personnel, son « bon plaisir ». Tous les grands chefs fascistes, pseudo-paternalistes, ont eux aussi voulu conjurer les ténèbres et changer le monde. Il est facile de deviner qui, aujourd'hui, poursuit cette tache...
Un classique !! Incontournable pour qui aime les voyages temporels et les uchronies...
En projetant son américain bon teint dans le passé, c'est toute la technologie du XXe siècle (ou du moins de sa première moitié) que De Camp y envoie, mais aussi toute notre mentalité occidentale, avec la notion de droits de l'homme, mais aussi des aspects moins nobles tels que le sens des affaires ou la publicité... C'est dire que Padway, alias Martinus le Mystérieux, a du travail... En effet, plutôt que de se conduire en goth parmi les goths, Padway préfère tout réinventer, tel Robinson Crusoë, avec plus ou moins de bonheur. De l'utilisation du zéro à celle de la poudre à canon en passant par l'imprimerie, les ré-inventions de Padway, fortement en décalage avec l'époque, ne seront pas sans apporter un grand nombre de bouleversements. Satisfait de lui et peu préoccupé par les paradoxes temporels et les conséquences sur l'avenir, Padway luttera ainsi à sa manière contre la barbarie. Manifestement, le Moyen-Age n'aura pas lieu, mais si l'on peut s'inquiéter des suites de ces avancées technologiques sans précédent dans un monde qui n'y a pas été préparé, notre héros estimera avoir conjuré les ténèbres, et il préparera tranquillement une expédition vers l'Amérique pour y trouver enfin un peu de tabac !
Dans ce livre intelligent et astucieux, les occasions de sourire ne manquent pas grâce aux anachronismes réjouissants. Un petit régal à redécouvrir, judicieusement réédité par Les Belles Lettres dans une collection de poche à faible coût.
Depuis 1983 et l'édition de chez NéO, il était difficile de trouver ce roman. Ce qui était dommage. Parce qu'il a tout pour démontrer que la SF n'est pas un ramassis d'inepties à un public a priori peu favorable — professeurs de lettres classiques, archéologues et historiens de l'antiquité. Et parce que, même sans être marchand de génitifs et de iotas souscrits, il est moult raisons d'apprécier cette histoire d'archéologue américain de 1939, propulsé aux alentours de l'an 500, et qui décide de survivre, et éventuellement de changer l'Histoire, en réinventant alcool distillé, comptabilité en partie double, zéro, collier d'épaule, télégraphe optique, caractères d'imprimerie, campagne électorale, etc. Le tout sur fond d'accusations de sorcellerie, de chevauchées, d'intrigues et de batailles. C'est peut-être naïf, mais réjouissant. Il y a quelques années, cela faisait parfois crier à l'impérialisme et au mercantilisme, et les commentaires des éditeurs vont encore dans ce sens (par ailleurs, leur ironie sur missiles, bogues et portables montre qu'ils n'ont pas saisi que la force de l'histoire réside dans la simplicité des « innovations », qui rend plausible leur introduction : cela demande bien moins de connaissances que les pyrotechnies de MacGyver...). Par ailleurs, les temps ont changé, et on boude moins son plaisir. La principale objection reste celle de Poul Anderson, mise en scène dans L'Homme qui était arrivé trop tôt (in Histoires de voyages dans le temps, au Livre de Poche) : on peut lire l'un et l'autre texte. Et les faire circuler. Anderson après de Camp, pour la bonne compréhension. Parce que du moment où il n'est plus nécessaire de le bouder, il convient également de faire partager son plaisir.