Existe aussi sous forme de livre électronique paru en janvier 2006, avec 2 ISBN selon le format : 2-7544-0134-2 pour Adobe, 2-7544-0136-9 pour Mobipocket.
La Loi d'Acier stipule qu'il ne peut exister qu'une seule humanité par planète. Or Nérat se révèle occupée par trois groupes humains, qui y cohabitent non sans heurts.
Il y a les Bérandiens, venus de la Terre cinq siècles plus tôt ; les Vasks, eux aussi émigrés une génération avant les premiers ; ainsi que les Brinns au sang vert qui soutiennent être natifs de ce monde. Et chacun d'eux, invoquant le même principe de légitimité, affirme : « Ce monde est nôtre ».
Comment Akki Kler, coordinateur de la Ligue des Terres humaines, parviendra-t-il à résoudre ce conflit ?
Avec ce roman, se déroulant huit siècles après Ceux de nulle part et mettant en scène le descendant de son héros, Francis Carsac nous offre un aspect planétaire de l'éternel problème du « droit du premier occupant ».
Short story : Une fenêtre sur le passé Francis Carsac
De retour de corvée d'eau, il découvre en lieu et place de ses compagnons une tribu néandertalienne. Short story : L'ancêtre Francis Carsac En 1970, des humains ont, entre autres prouesses, envoyé une expédition sur Procyon. Et ce à l'insu de tous.
Tout essentiel qu’il fut dans le paysage de la SF française des années 1950-60, il était devenu difficile de se procurer aujourd’hui les romans et nouvelles de Francis Carsac (fameux préhistorien sous son vrai nom de François Bordes, rappelons-le). Un constat auquel L’Arbre Vengeur entend remédier pour partie en rééditant Ce monde est nôtre, roman datant de 1962 (et lié à un précédent, Ceux de nulle part, dont on peut espérer la réédition à son tour).
Nous sommes dans un lointain futur, et l’humanité, ou plutôt les humanités, se sont répandues à travers plusieurs galaxies. Afin de fédérer cet ensemble disparate en proie à la menace des mystérieux Misliks qui éteignent les étoiles, la Ligue des Terres Humaines a été constituée, à savoir une association fédérant aussi bien les Terriens que les Hiss, mais aussi quantité d’autres espèces « humaines ». La Ligue a un besoin criant d’unité — la menace mislik est telle qu’elle ne peut se permettre de connaître des dissensions, sans même parler de conflits armés. Aussi, face au constat que la présence de plusieurs humanités différentes sur un même sol dégénérait forcément, la Ligue, habituellement non contraignante, a-t-elle promulgué la Loi d’Acier, en vertu de laquelle chaque monde ne doit être habité que par une seule humanité.
La Ligue découvre sans cesse de nouveaux mondes — ainsi, celui de Nérat… qui abrite trois humanités différentes : les Brinns « primitifs », que l’on suppose autochtones, mais proches des Hiss, et deux vagues ultérieures de Terriens ; d’abord les Vasks, originaires du pays basque et qui ont mis en place une société pastorale ; ensuite les Bérandiens, de souche française, et qui ont bâti une civilisation médiévale inspirée des romans de Walter Scott. Pour ces trois peuples, il est évident que Nérat est « leur » monde. Mais la Loi d’Acier ne saurait permettre leur cohabitation, et la Ligue dépêche des observateurs, Akki et Hassil, pour trancher la question — décider à qui Nérat appartient. Mais leur simple présence précipite le cours des événements… et donc la guerre.
L’auteur était très imprégné de la SF américaine de son temps, et cela se sent. On n’en fera pas mystère : formellement, surtout, Ce monde est nôtre accuse son âge, et se montre tour à tour kitsch, naïf, désuet, suranné… L’exposition, tout particulièrement, est problématique — avec ces personnages qui ont de longs échanges sur des sujets qu’ils maîtrisent pourtant parfaitement. Les fulgurateurs sont de la partie, les astronefs aussi, et les princesses inévitablement enlevées comme dans tout bon planet opera d’aventure. Pour tout amateur peu rétif à la poussière, voilà qui peut suffire à faire un divertissement honnête.
Mais il y a bien plus dans Ce monde est nôtre — roman paru au moment de l’indépendance algérienne, et qui interroge avec pertinence le colonialisme et la décolonisation, un débat que l’on peut sans doute poursuivre de nos jours en y insérant les notions d’identité ; sous cet angle, le roman n’a pas le moins du monde vieilli, il est même tout à fait actuel. D’autant que, si l’exposition du problème est simple, la complexité frustrante de sa résolution ne lâche ni les observateurs, ni le lecteur, de la première à la dernière page — et la pertinence de la Loi d’Acier n’est pas si assurée qu’on pourrait le croire.
Sous cet angle, davantage que sous celui la SF américaine de « l’âge d’or », Ce monde est nôtre anticipe étonnamment une œuvre majeure encore à venir : le cycle de « L’Ekumen » d’Ursula K. Le Guin — la Ligue des Terres Humaines peut as-surément faire penser à la Ligue de tous les mondes, et les ob-servateurs préparent les mo-biles. De manière moins su-perficielle, l’accent mis sur des sociétés dites « primitives », dont il s’agit de montrer la réelle complexité, unit encore les deux œuvres, et il en va de même de l’ingérence de la Ligue ou des diverses formes de colonisation décrites, brutales comme dans Le Nom du monde est Forêt, ou davantage soft power comme dans, mettons, Le Dit d’Aka. Si la forme plus aventureuse de Ce monde est nôtre lorgne davantage sur Jack Vance, il est tentant d’envisager tout cela au même prisme d’une SF anthropologique subtile.
Intéressante réédition, donc — en dépit de la poussière (ou en s’en accommodant très bien par goût du vintage). L’entreprise vaut sans doute d’être poursuivie.
Bertrand BONNET Première parution : 1/10/2018 Bifrost 92 Mise en ligne le : 15/6/2023
Le quatrième roman de Francis Carsac, « Ce monde est nôtre », est à tous points de vue le meilleur, le plus achevé, le plus mûr, le plus soigneusement écrit qu'il ait publié à ce jour. Mais s'il convient de le lire, ce n'est pas seulement pour ses qualités qui sont grandes, mais encore et surtout pour son propos. L'intention, car le thème de « Ce monde est nôtre » n'est pas remarquablement original. En fait, Carsac a réuni plusieurs thèmes plus ou moins classiques de la science-fiction, par exemple l'équipe de coordinateurs galactiques chargés de rétablir la paix sur un monde où elle est menacée, l'affrontement de sociétés caractérisées par des niveaux technologiques différents, la reconstitution plus ou moins fidèle de structures sociales archaïques, qui permet une sorte de voyage dans le temps et légitime l'emploi simultané d'épées et de désintégrateurs. Il l'a fait souvent avec humour : le pseudo-moyen âge du grand duché de Bérandie n'a-t-il pas été recréé d'après quelques livres de Walter Scott ? On rencontre ainsi, répartis dans la masse du roman, un certain nombre de gags dont quelques-uns au moins sont très évidemment adressés au petit noyau de « fans » qui gravitait autour de la défunte librairie « L'Atome ».
Il fallait que je cite cet aspect anecdotique du roman de Carsac avant de passer à l'essentiel, avant de le résumer. Quoique le scénario soit complexe et fertile en rebondissements, l'argument général est simple. La Ligue des Terres Humaines découvre une nouvelle planète habitée, Nécat. Cette planète est partagée par trois humanités. Or la Ligue, soucieuse de bannir la guerre de l'histoire des hommes, a édicté depuis fort longtemps une loi radicale, la « Loi d'Acier ». Il ne doit y avoir qu'une humanité par planète, l'autochtone, ou, à défaut, la première arrivée sur les lieux. La Ligue envoie deux Coordinateurs sur Nécat pour faire respecter la « Loi d'Acier » : Akki Kler et Hassil devront dire à quelle humanité appartient Nécat, et faire admettre aux deux autres le principe de leur déportation sur deux mondes neufs et vierges. L'arrivée des coordinateurs précipite la crise latente qui existait entre les trois peuples. Et quoique les coordinateurs doivent en principe se contenter de jouer un rôle d'arbitre, ils sont bientôt entraînés dans la guerre, contraints d'intervenir et de se choisir un camp. Comme ce ne sont pas des surhommes, ils devront vaincre bien des difficultés, connaîtront la souffrance et verront la mort de près.
Les trois humanités qui peuplent Nécat sont bien différentes. Les Bérandiens, derniers arrivés, forment une société féodale, dont l'aristocratie belliqueuse ne croit guère qu'à sa propre force et qu'à la supériorité de son destin. Les Vasks sont une étrange communauté qui, après avoir erré dans l'espace, s'est installée sur Nécat pour y poursuivre le mode de vie archaïque qu'elle s'est choisie. Les brinns, les plus anciens habitants, qui se croient autochtones, semblent les plus « primitifs » en ce sens que les structures tribales sont demeurées chez eux intactes. Ils rappellent quelque peu les Indiens du Nouveau Monde. Chacun de ces peuples possède ses vertus et ses défauts. Les Vasks sont les plus sympathiques, les brinns les plus étranges, et les Brandiens les plus… agressifs. Mais Carsac ne condamne dans sa totalité aucun de ces trois peuples. Il existe en chacun d'eux des êtres raisonnables, et si la majorité de l'aristocratie bérandienne déraisonne, c'est parce que le Grand Duché traverse une grave crise sociologique, qu'il est en proie aux lois de la déraison collective. Ce qu'exprime Carsac, c'est que la raison est une condition de la liberté, liberté définie non seulement par rapport aux tyrannies humaines, mais aussi par rapport aux déterminismes physiques et sociaux. Il est bon de rappeler ce primat de la raison en nos années troublées.
Est-il besoin d'insister encore pour faire sentir que Nécat, au fond, ce peut être, c'est l'Algérie ? Ces Bérandiens qui sont convaincus d'avoir tout construit sur Nécat, et qui n'ont guère eu de scrupules à se servir des brinns comme esclaves, qui sont des hommes frustes et durs, mais en qui la raison pointe parfois comme une étincelle, qui n'hésitent pas à détruire parce qu'ils se croient menacés, et dont l'angoisse n'a d'autre source au fond que l'incertitude dans laquelle ils se trouvent quant à leur propre nature, quant à leur propre destin, ce pourraient bien être les « pieds noirs ». Au demeurant, il ne sert à rien de se livrer au jeu plus ou moins contestable des analogies. Les clés existent, mais seulement en tant que points de repère. Le problème fondamental, c'est celui de la possession d'une terre, c'est celui des droits que donne la naissance, ou le travail, ou la guerre sur un monde. Et la conclusion explicite de Carsac est saisissante. Nul ne peut se vanter de posséder une terre. Les brinns eux-mêmes, qui se croient originaires de Nécat, ne sont que des envahisseurs. Le temps augmente la solidité des liens entre un peuple et ses collines. Il ne crée pas la légitimité.
Nous nous aventurons là en un domaine où les choix ne peuvent guère être qu'éthiques, c'est-à-dire individuels. Je crois, comme Carsac, que tout peuple fut l'envahisseur de sa terre et qu'il doit se garder de trop insister sur la légitimité de ses droits. Sur notre petite planète, aucun peuple ne peut se vanter d'être sorti tout armé de son propre sol. Mais je ne suis pas d'accord avec sa « Loi d'Acier ». Elle est simple, elle est énergique. Elle est précisément trop simple et trop énergique. Elle correspond au vieux rêve : « Que chacun reste chez soi et il n'y aura plus de guerre. » Ou que chacun retourne chez soi. Ou que chacun se trouve une tanière. C'est peut-être un idéal. Ce n'est pas le mien. Que Francis Carsac me le pardonne.
Mais je viens de passer sur une planète proche de Nécat, en qualité d'apprenti-coordinateur, un peu plus d'une année. Au moment où ces lignes paraîtront, j'aurai regagné ce monde. Ce que je crois y avoir appris, c'est que les humanités différentes doivent se convaincre de vivre ensemble. C'est à cela que la raison doit servir et non à édicter des séparations formelles. Je sais. Il suffit d'ouvrir les journaux pour que des éclats de ce monde vous sautent à la figure et vous convainquent qu'il s'agit d'un propos d'utopiste. Il serait plus simple de trancher le nœud gordien, de séparer les combattants. Mais c'est aussi choisir, comment dirai-je, le malthusianisme politique.
Je n'ai aucun moyen d'établir ce que je vais avancer. Je le propose très humblement. Je crois à la nécessité de la diversité, sinon à celle des oppositions. Je m'efforce d'être un grand ennemi de la violence. Mais je me dis que la terre ne serait pas ce qu'elle est, que nous n'en serions pas où nous sommes, si de multiples peuples n'avaient pas vécu côte à côte, ne s'étaient pas affrontés dans la suite des temps. Je crois que la raison et la guerre sont deux produits antagonistes de cette diversité. L'Histoire est, après tout, aussi pleine d'alliances que de combats, et je préfère encourir le risque de la guerre plutôt que d'écarter la possibilité de l'amitié.
Je sais bien que je fais peut-être à Francis Carsac un procès trop dur, qu'il envisage des relations amicales entre des peuples séparés par l'espace. Mais ces relations ont pour moi quelque chose de trop abstrait, de trop intellectuel. Deux êtres différents doivent pouvoir fouler le même sol. Et de tous les peuples de la Ligue, celui qui m'est le plus sympathique est encore le novaterrien, parce qu'il est né d'une alliance, celle des Terriens et des sinzus.
Il y a deux manières au moins d'effacer la haine et le racisme. La première relève du mur, que ce soit la grande muraille de Chine ou l'espace. La seconde de la compréhension et du respect. Peut-être les Terriens ne sont-ils pas encore capables d'emprunter cette voie royale. Mais il faut essayer une fois encore. Ou dix fois. Qu'est-ce qu'un peuple ? Qu'est-ce qu'une humanité ? Y a-t-il seulement assez de planètes, d'îles dans l'univers pour abriter tous les antagonistes ? Et je pense que nous autres Européens, bâtards de cent invasions, las d'un millier de guerres, conquérants à peine repentis, pourrions peut-être, sans le moindre orgueil et dans le souvenir de nos erreurs et de nos générosités passées, avec l'aide de notre raison durement acquise, jouer le rôle ingrat de coordinateurs de la fraternité plutôt que celui d'organisateurs des distances.
Gérard KLEIN Première parution : 1/4/1962 Fiction 101 Mise en ligne le : 30/12/2024
Le dernier Carsac est un Livre très simple, et suffisamment riche en même temps pour qu'il y ait plusieurs choses à en dire. De là ce post-scriptum. Klein a choisi de le critiquer sous l'angle idéologique. C'est là un choix normal et justifié. Mais il convient d'avertir le lecteur que ce livre garderait son prix, même si les choses n'étaient pas ce qu'elles sont et le monde ce que nous savons. Car on y trouve plusieurs qualités intemporelles – et des qualités qui justement se font rares par les temps qui courent.
D'abord, Carsac aime la plaisanterie. Quand vous commencez un roman sur l'évocation de « Heounimeor Khardon, coordinateur suprême », vous soupçonnez tout de suite que son auteur n'est pas homme à se laisser prendre aux fallacieux prestiges de la littérature pure. Et maints détails, par la suite, confirment l'appartenance de Carsac à la nationalité calembourgeoise. Laissons au lecteur le plaisir de les découvrir – non sans le rassurer sur le sérieux de l'ouvrage : les canulars sont bien embusqués, leur découverte exige parfois un certain effort de perspicacité, auquel on peut renoncer sans perdre beaucoup de la substance du livre (au moins en apparence, car c'est un trait remarquable d'être libre à l'égard de son sujet au point de l'oublier au détour d'une page, le temps d'une plaisanterie ; surtout quand il s'agit d'un sujet aussi grave que celui de « Ce monde est nôtre »). Beaucoup de nos contemporains auraient grand besoin de réapprendre cette pointe de légèreté qui fait la supériorité des héros d'Alexandre Dumas père sur ceux d'André Malraux, y compris et surtout sur le plan existentiel.
Le sourire de Carsac se manifeste au demeurant dans le sujet lui-même, et dans ce qu'il a de plus pénible pour un Français d'aujourd'hui. Le livre est précédé d'un avertissement : « Toute ressemblance avec des événements contemporains ne pourrait se trouver que dans l'esprit du lecteur. » Hum ! Revenons deux pages plus tôt, et lisons le titre : « Ce monde est nôtre ». Sans commentaires !
En dépit de quelques pointes satiriques dans la même veine ironique, et qui rappellent à plus d'un égard le Voltaire de Ferney et ses feintes contre la censure, l'ouvrage se signale surtout par la sérénité qui s'y manifeste presque à chaque ligne. Carsac est un calme, et modèle ses héros à son image. Les conflits de ce monde qui est nôtre les obligeront, quoi qu'ils en aient, à intervenir et à faire leur choix. Mais cette nécessité de l'action, à laquelle ils ne cherchent pas à échapper, ne parvient pas à entamer l'objectivité de leur jugement. Et si au bout du compte ils rembarquent les colonisateurs et donnent la planète Nécat aux primitifs colonisés, c'est avec la conviction, soulignée par une découverte de dernière heure, que la terre n'est à personne et que le droit international n'a pas de sources géologiques. Simplement, il fallait bien trouver une solution, même bâtarde, à des problèmes qui en somme – et Carsac a bien raison de nous le rappeler – ne sont que des problèmes particuliers et non des problèmes cosmiques engageant l'avenir d'une lutte métaphysique entre le bien et le mal, même si les hommes qui vivent ces problèmes en ont parfois l'impression.
« Ce monde est nôtre » est donc le livre de la sagesse, et il est remarquable qu'un pareil livre ait vu le jour en ce mois de mars 1962. Mais si la plénitude qui s'en dégage a quelque chose d'étrange dans l'ambiance du monde que nous connaissons bien, elle n'a rien que de très normal dans la perspective de l'homme de science qui se cache derrière le nom de Carsac. Car ce roman, entré autres qualités, rentre dans l'espèce rarissime des fictions scientifiques dont la matière est fournie non par la physique, mais par les sciences humaines, et de façon très documentée : la peinture de trois sociétés archaïques donne à l'auteur l'occasion d'accumuler une grande richesse de notations, et de développer des considérations fort originales par la sympathie qui s'en dégage. Aucun des peuples visités n'échappe à la cruauté, aux misères, aux petitesses : les Vasks ont leur tradition guerrière, les brinns leurs cérémonies initiatiques. Mais toujours les enquêteurs promènent sur eux le regard lénifiant du médecin qui évalue ses chances de guérir d'affreuses tumeurs, et aussi de l'ethnologue qui sait bien que ce monde est nôtre.
Car les Bérandiens, les Vasks et les brinns sont respectés dans ce livre, et Carsac sait nous montrer que toujours, quoi qu'il advienne, ils méritent ce respect, et qu'il y a parmi eux, et en eux, des hommes dignes de ce nom. Simplement ces hommes vivent dans une société archaïque, et si l'avertissement placé en tête de l'ouvrage déclare que « ce récit concerne des problèmes qui pourront se poser à l'Humanité dans un lointain futur », la conclusion suggère que c'est dans un lointain futur qu'elle les résoudra définitivement, en accédant à une civilisation suffisamment adulte pour respecter les mondes extérieurs et s'unir à eux dans une perspective d'égalité stricte. C'est à ce moment que « tous ces mondes sont nôtres, nôtres à jamais ». En attendant il faut tailler dans le vif, séparer quelquefois deux lutteurs qui auraient pu, entre deux échanges de coups, pratiquer de fructueux échanges culturels – mais qui auraient pu aussi bien s'entre-tuer comme cela est fréquemment arrivé. Et pour cela je crois qu'il faut suivre Carsac, en dépit des arguments de Klein : car la thèse de Klein repose finalement sur l'idée que les hommes ont le droit de résoudre leurs problèmes eux-mêmes et d'évoluer en toute liberté, c'est-à-dire au hasard : et le hasard est précisément la négation du droit métaphysique, de ce droit que Klein revendique. En soulignant que le droit n'a pas de fondement matériel effectif, Carsac nous montre que les hommes n'ont qu'une seule solution : s'entendre entre eux. Mais pour cela on ne peut qu'attendre, ou aider le hasard à l'occasion – ce qui implique, bien sûr, qu'on soit un peu partisan du « Aide-toi, le ciel t'aidera » et qu'on ne place pas une confiance trop systématique dans le sens de l'histoire.
Jacques GOIMARD Première parution : 1/4/1962 Fiction 101 Mise en ligne le : 30/12/2024