Voici donc le troisième volume que la Bibliothèque Marabout consacre à Harry Dickson. Il contient, en plus des « cinq aventures intégrales » annoncées sur la couverture, un court récit de moins de vingt pages, Les Idées de Monsieur Triggs. L’Intérêt principal de ce récit tient à la participation de M. Mortimer Triggs, analyste de fauteuil, qui est à Harry Dickson à peu près ce que Mycroft Holmes est à son frère Sherlock dans L’interprète grec : une sorte de raisonneur infaillible auquel il manque essentiellement le métier et la persévérance pour devenir un détective véritable.
Ceux qui ont goûté les précédentes rééditions se précipiteront sur ce nouveau volume sans lire la suite des présentes lignes, et ils ne seront aucunement déçus. On voit mal, d’ailleurs, qui pourrait ne pas goûter les exploits de Harry Dickson, hormis les chantres de l’ennui et les fervents du style-considéré-comme-une-fin-en-soi. Car, il faut bien le remarquer, on continue à ne pas s’ennuyer, en suivant Harry Dickson dans ses enquêtes ; et la hâte avec laquelle Jean Ray rédigeait ces récits leur confère souvent un style relâché.
Relâché, mais non incolore, et encore moins dépourvu du pouvoir d’évocation. Tout le commencement du Mystère des sept fous, dans le présent volume, est une réussite d’ambiance et de suggestion, depuis le triste départ de Dickson dans l’express du nord jusqu’à l’arrivée dans un vieux manoir isolé où le détective a été appelé par la lettre d’un ami d’enfance. Là, autour d’une table bien garnie (« potage au potiron, truite au bleu, languettes de jambon rissolées… » Jean Ray oubliait rarement d’être bon pour le palais de ses personnages), Dickson peut se préparer à affronter un nouveau mystère.
Comme dans les récits réédités dans les deux volumes précédents, ce mystère débouche assez régulièrement en plein merveilleux. Ainsi, Les mystérieuses études du Docteur Drum suggèrent des révélations ultra-dimensionnelles. Et il est assez piquant de rapprocher ce nom de Drum (tambour, en anglais) de celui d’un autre savant mis en scène par Jean Ray, le docteur Paukenschlager, qui s’occupait lui aussi de dimensions inconnues. Or Paukenschläger – avec un ä, il est vrai – signifie timbalier en allemand… Libre à chacun de faire les hypothèses qu’une telle analogie peut suggérer. Seule des nouvelles contenues dans ce nouveau Marabout Géant, celle-ci figurait dans le volume consacré à Harry Dickson par les éditions Robert Laffont.
Deux des nouvelles s’ouvrent sur l’évocation de spectacles forains : Les sept petites chaises et On a tué M. Parkinson. Mais les solutions des énigmes révèlent des mondes bien différents. Dans le premier récit, Dickson affronte une bande de sadiques, et le fantastique n’a guère de place dans le récit (sinon lors d’une disparition inexplicable, et qui reste inexpliquée, autour d’une petite maison isolée dans une lande). Dans le second, en revanche, Harry Dickson découvre les restes d’une civilisation inca qui n’a que le nom de commun avec celle que nous connaissons.
La maison des hallucinations utilise un ressort que l’on retrouve dans une des Nouvelles aventures d’Ellery Queen, La lampe de Dieu. En outre, il est question de pouvoirs occultes dont l’attribution à des substances radioactives paraît aujourd’hui bien artificielle. Mais le développement de l’énigme est remarquablement gradué, tout comme dans Le mystère des sept fous. Dans cette dernière nouvelle, l’hypnotisme fournit la clé du mystère, ce qui ne convaincra guère les amateurs de rigueur. Mais on pardonne sans hésitation cette faiblesse, grâce à l’ambiance dans laquelle se déroule le récit. Le monde dans lequel Harry Dickson effectue ses enquêtes n’obéit pas aux mêmes lois que celui où nous vivons, et c’est très bien ainsi. La découverte de cet univers un peu délirant, parallèle au nôtre, confond le récit policier, le fantastique et le merveilleux scientifique en un tourbillon que seul Jean Ray pouvait animer.
Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/7/1967 dans Fiction 164
Mise en ligne le : 6/11/2022