L'étrange a des patries d'élection : les brumes de Londres et de Hambourg, la moiteur des îles de la Sonde et certains recoins de terre inoffensifs en apparence. Ainsi l'Alsace — où le promeneur a le sentiment d'être en sécurité — se révèle dans ce livre un pays chargé de toutes les terreurs ancestrales, nourri de mystère, peuplé d entités dangereuses. De conte en conte, les auteurs découvrent la réalité d'ombre sous les claires apparences d'une campagne idyllique, engagent le lecteur dans des sentiers fleuris qui débouchent soudain en plein-soleil noir de la peur.
1 - Hubert JUIN, Préface, pages 5 à 11, préface 2 - Hugues-le-loup, pages 13 à 140, roman 3 - L'Esquisse mystérieuse, pages 141 à 161, nouvelle 4 - Les Trois âmes, pages 163 à 184, nouvelle 5 - L'Araignée crabe, pages 185 à 201, nouvelle 6 - Le Cabaliste Hans Weinland, pages 203 à 221, nouvelle 7 - Le Requiem du corbeau, pages 223 à 237, nouvelle 8 - Messire Tempus, pages 239 à 245, nouvelle 9 - L'Œil invisible ou l'auberge des trois-pendus, pages 247 à 267, nouvelle 10 - Le Bourgmestre en bouteille, pages 269 à 289, nouvelle 11 - Le Violon du pendu, pages 291 à 300, nouvelle 12 - La Reine des abeilles, pages 301 à 315, nouvelle
Critiques
À l’exception de la préface de Hubert Juin, qui parle de passion républicaine là où l’on attend quelques mots sur le fantastique, ce livre mérite d’être lu avec attention. Les onze récits qu’il groupe ont été choisis avec discernement dans l’abondante production des deux écrivains et, comme par hasard, ce sont des textes où la passion républicaine brille surtout par son absence. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles ils ont supporté allègrement le passage des années : à un siècle de distance, les républicains passionnés donneraient l’impression d’enfoncer des portes largement ouvertes – ou ils feraient sourire, avec leur apologie appliquée de l’honnête vigneron, de la vertueuse jeune fille ou du courageux adolescent pauvre.
Bien entendu, tout n’a pas le relief d’une révélation, dans ces pages. Les effets de chute, les révélations finales, paraîtront souvent un peu naïves à l’amateur aguerri de fantastique. Aussi n’est-ce pas le thème de Hugues-le-loup qui fait l’intérêt de ce long récit, lequel occupe près de la moitié du volume : cette histoire de lycanthropie, de malédiction et de châtiment héréditaire, reste conventionnelle par sa substance. Mais c’est le traitement qui la rend attachante. Le ton de la narration a une sorte de poésie désuète – l’action se déroule cinquante ou soixante ans avant l’époque à laquelle l’œuvre fut écrite – et, surtout, le climat de la région rhénane, la vie dans un château qui était déjà une sorte d’enclave du passé, les impressions d’un étranger appelé à partager brièvement cette vie, tout cela est évoqué avec de la vraisemblance, de la vivacité et une sorte d’affection.
De même, la vision surnaturelle dont bénéficie inextricablement le peintre auteur des Trois esquisses étonnera peu, un siècle après la rédaction du récit ; mais l’atmosphère d’une vieille ville germanique reste, en revanche, intacte. Avec L’œil invisible ou L’auberge des trois pendus, le mystère s’épaissit quelque peu, dans une histoire d’assassinats par suggestion, et c’est un humour noir somme toute en avance sur l’époque qui frappe dans Le requiem du corbeau. Le surnaturel assez facile du Cabaliste Hans Weinland a pour contrepartie le fantastique allusif de Messire Tempus, où un colporteur sarcastique détient effectivement le pouvoir de déranger le cours du temps. Et les autres récits possèdent un charme discret ou désuet, qui a en général fort bien vieilli. Ces nouvelles ne sont pas autant de chefs-d’œuvre, il s’en faut de beaucoup. Mais elles méritaient assurément une réédition dans cette excellente bibliothèque Marabout, qui s’attire chaque mois un peu plus la reconnaissance de ceux qui aiment le fantastique et l’Insolite.