Le milieu des amateurs de science-fiction et de fantasy est quand même un sacré aréopage de fêlés. Vous, peut-être. Moi, sûrement. Mais, tout insensés que nous puissions être, nous ne le serons jamais autant que Simon Sanahujas et Gwenn Dubourthoumieu. Imaginez un peu : organiser un voyage au Texas, parcourir 4353 miles (à environ 1,6 kilomètre du mile, faites vous-mêmes le calcul...) en 17 jours, tout ça pour aller en pèlerinage sur les lieux ayant présidé à la création du personnage de Conan... Avouez qu’il y a plus conventionnel et plus reposant comme vacances !
Voici donc nos deux frenchies, Simon l’écrivain et Gwenn le photographe, parcourant les mêmes routes du Texas que celles empruntées quatre-vingts auparavant par Robert E. Howard. Bien sûr, il y aura des passages obligés : le lieu de naissance de l’auteur, à Peaster ; la maison des Howard à Cross Plains ; les collines à proximité de Fredericksburg, qui lui inspirèrent la Cimmérie en février 1932... Two-Gun Bob, comme se plaisait à le surnommer Lovecraft, a beaucoup sillonné son état, aussi les lieux évoquant son souvenir sont assez nombreux. Pourtant, Howard n’est plus un auteur très connu aujourd’hui, même au Texas, aussi sa trace se perd parfois. Et nos deux roadrunners de galérer à la recherche ici d’un pont, là d’une maison de viticulteur... On suit ainsi avec humour leur trajet un peu chaotique, un peu zigzaguant, au volant de la fameuse Ford fuck us, comme entendirent certains autochtones, un jour où nos gaillards prononcèrent le nom du modèle, « Focus ». Le texte de Sanahujas, qui retranscrit joliment l’aspect un brin bordélique de l’aventure, trouve son contrepoint dans les très belles photos de Gwenn Dubourthoumieu, tour à tour majestueuses – quand elles décrivent les paysages, comme la Dark Valley Creek ou les fameuses cavernes de Carlsbad, ou encore les derricks au coucher du soleil – ou intimistes – lorsque sont représentés les Texans. Lesquels se révèlent très accueillants, très chaleureux, à l’exact opposé de l’image redneck pro-Bush à Stetson qu’ils véhiculent de ce côté-ci de l’Atlantique. Ce sera un attrait supplémentaire pour les deux compères ; car, tout fascinés qu’ils soient par Howard, bâtir une virée aussi hallucinante sur le seul prétexte d’arpenter les mêmes routes poussiéreuses que le créateur de Conan ne leur suffisait pas, et aurait été somme toute assez inutile. C’est donc autant à une découverte d’un État dans tous ses contrastes (le désert vs. Les mégapoles), et d’un mode de vie, que nous sommes conviés ; mais une découverte organisée au travers du prisme d’un pèlerinage aux allures de quête.
Conan le Texan se révèle ainsi, malgré quelques imperfections de réalisation (les coquilles régulières, la mise en page au moment du passage au chapitre 11), un carnet de voyage tout à fait intéressant. Si comme moi les carnets de voyage vous laissent d’habitude sans réaction, laissez-vous quand même tenter par celui-ci, il permet de s’évader dans un décor dépaysant, sur lequel se calque un monde imaginaire tout aussi évocateur, marqué par l’ombre omniprésente de Conan le Cimmérien/Texan.
Bruno PARA (lui écrire)
Première parution : 14/12/2008 nooSFere