BRAGELONNE
(Paris, France), coll. Science-fiction Date de parution : 14 août 2019 Dépôt légal : août 2019, Achevé d'imprimer : juillet 2019 Première édition Roman, 480 pages, catégorie / prix : 25 € ISBN : 979-10-281-0724-6 Format : 15,3 x 23,8 cm✅ Genre : Science-Fiction
« Quelle saga ! De la science-fiction mêlant physique, biologie, sociologie, ainsi qu’un portrait réaliste et complexe de l’humanité. » Tom Hanks
« L'un des rares écrivains contemporains qui aient mérité une réputation à la hauteur des maîtres comme Isaac Asimov ou Arthur C. Clarke. » Chicago Tribune
« Certainement le meilleur roman de Robinson depuis sa monumentale Trilogie martienne, voire son meilleur tout court. » The Guardian
Notre voyage depuis la Terre a commencé il y a des générations. À présent, nous nous approchons de notre destination. Aurora.
Brillamment conçu et merveilleusement écrit, voici le nouveau roman majeur d’une des voix les plus puissantes de la science-fiction moderne. Aurora raconte l’histoire tumultueuse des premiers voyageurs au-delà du système solaire, à la recherche d'un nouveau foyer pour l'humanité. Loin de la Terre, ils ont un seul atout et un seul protecteur : leur vaisseau...
Kim Stanley Robinson est un best-seller international, lauréat des prestigieux prix Hugo, Nebula et Locus. Parmi ses œuvres on trouve Chroniques des années noires, Le Rêve de Galilée et 2312. Il a été nommé « Héros de l'environnement » par le magazine américain Time ; il travaille régulièrement avec le Sierra Nevada Research Institute. Robinson vit en Californie.
Critiques
Sur un vaisseau spatial gigantesque, un peu plus de deux mille personnes sont en chemin vers Aurora, satellite naturel d’une planète du système Tau Ceti, situé à 12 années-lumière de la Terre. Ce voyage durant plusieurs dizaines d’années, le vaisseau est habité par sa sixième génération d’humains, celle qui pourra enfin le quitter pour s’installer sur Aurora, découvrant un nouvel environnement et ses dangers.
Kim Stanley Robinson est surtout connu en France pour sa Trilogie Martienne, expliquant par le détail l’histoire de la terraformation de Mars. Aurora utilise un point de départ inverse : plutôt que d’adapter une planète proche à notre environnement, allons coloniser une planète (ou en l’occurrence le satellite d’une planète) lointaine qui serait déjà adaptée à nos besoins. Ce point de départ mis à part, Aurora fonctionne comme la trilogie martienne : Robinson explore toutes les questions, aussi bien techniques que sociologiques, que ce long voyage permet de se poser : cette planète semblable à la Terre est-elle colonisable et si oui, comment, avec quels moyens ? Quels dangers peuvent surgir ? Des gens qui n’ont connu que le vaisseau peuvent-ils le quitter ? Vont-ils se quereller lorsque des décisions devront être prises ? Quelle forme de pouvoir doit être en place dans le vaisseau pour garantir son fonctionnement optimal et pacifique pendant si longtemps ?
Toutes ces questions et bien d’autres sont évoquées au cours du récit. Si l’auteur est obligé d’en passer par quelques tunnels d’explications parfois laborieux, l’immense majorité de ces interrogations est abordée avec brio, rendant la lecture d’Aurora exaltante sur le plan des idées. Et contrairement à certains autres romans de Robinson, il n’oublie pas de raconter une histoire, de transformer cette érudition en page-turner grâce à un rythme efficace et une intrigue à rebondissements. On regrettera juste des personnages pas vraiment creusés, plus présents comme archétypes que véritablement humains et un style quelque peu plat (que l’auteur semble expliquer par une pirouette sur la nature du narrateur). Enfin, signalons que si l’on est clairement dans une science-fiction ultra-technologique, Robinson sait parler de science à tous les lecteurs : nul besoin de connaissances pointues pour le lire et le comprendre. Aurora est plus qu’un roman sur l’exploration spatiale, c’est aussi un grand roman sur l’être humain, son devenir et la nécessité de protéger la planète.
Dans la bibliographie de Kim Stanley Robinson (KSR), Aurora, publié en VO en 2015, se place entre 2312, au solide univers mais incapable de raconter une histoire (cf. notre critique dans le Bifrost n°89), et Red Moon, qui en narrait plus ou moins correctement une mais péchait au niveau d’un contexte lunaire décevant. Se pose donc la question de savoir comment ce roman va se situer, et les interrogations augmentent encore à la lecture de la quatrième de couverture, où le résumé ne fait que quelques phrases. Et pour cause…
En effet, si le point de départ est clair (un vaisseau générationnel est dans la phase finale de son approche de Tau Ceti et de ses planètes), et si, pendant un bon tiers, le roman suit la partition qu’on imagine, l’auteur va ensuite lui faire prendre un tournant complètement inattendu qui en occupera les deux tiers suivants et qui explique la discrétion de la quatrième. Qui mentionne aussi une citation du Guardian selon laquelle il s’agirait du meilleur livre de KSR depuis la «Trilogie martienne», voire de son meilleurtout court. On se calme ! Volume unique, narration plus maîtrisée que dans 2312, univers plus abouti que dans Red Moon, rythme et intérêt constants quasiment d’un bout à l’autre et profondeur des thématiques traitées, Aurora a tout pour plaire, oui, surtout à celui qui ne connaît pas la prose de KSR ou n’y adhère guère d’habitude. Mais non, il n’éclipsera pas la «Trilogie martienne », monument du planet opera à la richesse hors-norme.
On peut découper l’intrigue en plusieurs phases : la première montre le vaisseau en transit vers Tau Ceti, parle d’écologie et de sociologie ; la seconde concerne l’arrivée, bascule dans le planet op’, montre que KSR est aussi à l’aise pour décrire un monde extrasolaire fictif que lorsqu’il parle de Mars ; la troisième revient sur l’aspect sociologique, fait émerger une vraie IA (qui, d’ailleurs, est supposée être l’autrice du récit, ce qui mène à un savoureux jeu avec le lecteur : par la voix de ses personnages, KSR critique son propre roman !), nous fait vivre la fascinante introspection d’une con-science artificielle (et propose un livre aussi anti- « Singularité = fin du monde » que possible) ; la quatrième est un festival de Hard SF, avec un basculement de la thématique du vaisseau-arche et une utilisation de la mécanique orbitale qui aurait donné un orgasme à Arthur Clarke ; enfin, l’ultime partie nous reparle d’écologie, mais sous une forme différente. L’ensemble est passionnant de bout en bout (ou quasi), sous quelque aspect (SF, sociologique, scientifique, écologique, etc.) que ce soit, pour peu qu’on oublie les quelques dizaines de pages de fin, sans intérêt.
KSR imagine les libertés qu’il faudra sacrifier pour qu’un vaisseau à générations fonctionne (celle de choisir quel métier exercer, où habiter, quand et si faire un enfant), les mesures à adopter si la mission déraille (et dans les deux cas, ce qui est acceptable ou non), les dangers biologiques du syndrome d’insularité, le fait que le débarquement est aussi délicat que le voyage, mais que le vrai danger ne vient pas d’une phase planifiée difficile, mais bel et bien de ce qui arrive quand l’imprévisible surgit. Comment faire si l’option A est caduque mais qu’il n’y a pas de consensus sur la B ? Que faire si cela menace de déclencher une guerre civile ?
Au final, cette parabole écologique, qui, en parlant d’un vaisseau-monde (thème SF où ce roman s’impose désormais comme une référence), crie l’urgence de respecter le nôtre, montre que l’humain est inadapté à l’univers et quantité négligeable face à la puissance de la vie… microbienne (résolvant ainsi d’une étonnante façon le paradoxe de Fermi). Sans oublier de dénoncer l’idiotie, presque le crime, d’une génération narcissique qui, lançant des vaisseaux vers d’autres étoiles, condamne à la souffrance leurs descendants, les animaux et les astronefs eux-mêmes. Paradoxalement, Aurora constitue ainsi autant une ode à l’astronautique qu’un violent réquisitoire contre son utilisation à la légère. Et replace le crucial au centre du jeu : le bien-être de l’humain et de son environnement. Essentiel.
L’humanité a décidé de coloniser les étoiles. Dans ce but, elle a envoyé vers Tau Ceti un vaisseau riche de 2 000 personnes vivant au sein de biomes, compartiments gigantesques reflétant les différents écosystèmes terriens. Arrivé à la cinquième ou sixième génération, le vaisseau approche de sa destination. Devi, qui fait office d’ingénieure en chef, discute avec l’IA régissant le fonctionnement du navire pour négocier l’arrivée sur Aurora, la lune d’une des planètes de Tau Ceti, tandis que l’ordinateur quantique de bord lui permet de gérer les défaillances du système, de plus en plus fréquentes après tant de temps passé dans l’espace. Une fois arrivé à proximité d’Aurora, l’établissement des premiers camps habités sur la lune peut commencer ; toutefois, des personnes meurent de l’exposition à une bactérie ou un virus d’origine inconnue. Dès lors, l’humanité – ou tout au moins les colons, puisque tout contact avec la Terre prend vingt-cinq ans – doit faire un choix : continuer sur Aurora, ou identifier d’autres cibles d’installation parmi les planètes et lunes à proximité. Certaines voix commencent même à évoquer un retour sur Terre, et parmi elles Freya, la fille de Devi…
Dans ce roman, comme à son habitude, KSR utilise ses connaissances pluridisciplinaires afin d’embrasser la problématique du vaisseau-arche dans son ensemble : mécanique spatiale pour les problématiques de trajectoire du vaisseau (au cœur de l’histoire, notamment dans sa deuxième partie, et pour les phases d’accélération et de décélération), sociologie pour la gestion de la population des biomes, biologie et chimie pour les dispositifs à mettre en place en vue de la conservation de la flore durant tout le voyage, informatique pour doter le vaisseau de capacités de calcul quantique lui permettant de prendre les décisions de manière urgente si nécessaire… Pas un aspect n’est occulté ; on pourrait imaginer que cela se traduise par un ouvrage d’une taille démesurée, tant les problèmes à régler sont nombreux, mais Robinson a évacué cette difficulté avec subtilité et humour : les humains étant assez occupés à autre chose, c’est l’IA du vaisseau qui raconte les événements ! Et comme celle-ci ne sait pas initialement choisir ce qui est important et ce qui ne l’est pas, Devi la guide. D’où quelques échanges savoureux tandis que l’IA tente d’utiliser ses algorithmes pour donner à lire quelque chose qui ressemble à un roman, et pas à un devoir appliqué, tout en se posant régulièrement la question de savoir comment au mieux raconter une histoire, avec l’utilisation de ces analogies et métaphores au cœur de l’expression humaine si difficiles à appréhender pour elle. Peu à peu, l’IA va apprendre à penser comme un humain, à faire de l’humour, voir commencer à ressentir des émotions comme la peur… ou l’amour. Un timide éveil à la conscience qui s’avère une merveille de finesse, et un contrechamp bienvenu au côté hard science et à la relative sécheresse de la caractérisation des personnages de KSR (mais rappelez-vous, ce n’est pas lui qui raconte le tout, c’est une IA).
On ne terminera pas cette chronique sans évoquer la surprenante deuxième partie du roman (attention spoiler), puisque les colons choisissent en majorité le retour sur Terre. Même si certains restent dans les étoiles, Robinson – ou plutôt le vaisseau – décide de les ignorer et de se concentrer sur la manière de ramener les autres sur Terre, terminant sur un constat amer d’échec de la colonisation spatiale – étonnant, pour l’auteur de la « Trilogie martienne ».
Par l’ampleur de ses considérations scientifiques et philosophiques, que l’auteur vulgarise du mieux possible, Aurora, dont les multiples rebondissements et révélations dynamisent le rythme de narration assez lent (une constante chez KSR), se révèle ainsi un excellent roman, sans doute l’un des plus aboutis de l’auteur, qui le hisse à la hauteur d’un Clarke ou d’un Asimov.
Bruno PARA (lui écrire) Première parution : 1/4/2022 Bifrost 106 Mise en ligne le : 19/3/2025