Adolescent « ordinaire », Zec (pour Ezéchiel) livre sur son blog ses goûts musicaux, ses inquiétudes quant à son passage en première, sa déception face à l'indifférence de la belle Léa ou encore la douleur causée par ces drôles de boutons qui lui poussent en regard des omoplates — une poussée tardive d'acné ?
Mais bien vite, ces indésirables excroissances se changent en ailes ! Et dans le même temps, Zec apprend qu'il doit sauver un monde !
Houla, me direz-vous, un super-héros destiné à sauver l'humanité, voilà qui ne paraît pas d'une folle originalité. En effet, l'essentiel du scénario tient en deux lignes. On signalera seulement que ce n'est pas la Terre qui est en jeu, mais le monde de Cheberith, et que l'idée principale pourrait avoir germé dans la tête d'un Greg Egan : un univers, avec ses occupants, entièrement numérisé sous forme de nanopuces réparties dans trois livres. Néanmoins, la simplicité de l'intrigue prévaut, pleinement voulue par l'auteur.
La référence aux comics est ainsi explicite. Carina Rozenfeld mentionne évidemment le Angel des X-men et fait du mentor de Zec un vieil homme chauve en fauteuil roulant... On pense également au film de Raimi, Spiderman, avec les émois adolescents face à la transformation du corps — les poils qui poussent chez l'araignée, l'acné dorsale chez l'angelot — , avec aussi le poids des responsabilités qu'apporte l'âge adulte et le choix à faire de les rejeter ou de les assumer.
Plus discret est le clin d'œil à Luc Besson à travers le surnom Leeloo donné à l'un des personnages — un simple contact de messagerie. Il est pourtant facile d'établir un parallèle entre la trame des Livres-Mondes et celle du Cinquième élément : la menace que représente l' « Avaleur de mondes » rappelle la grosse boule noire du film ; et les deux « anges » que sont Zec et Eden peuvent se mesurer à chacun des personnages bessoniens. Du Jacques Mayol du Grand bleu à la justement nommée Angel-A, en passant par Nikita, Léon, Jeanne d'Arc... ce sont tous des candides hors du monde, décalés du réel. Représentation simplifiée d'une force destructrice absolue à ma droite, êtres angéliques et « parfaits » à ma gauche, le combat peut donc commencer.
Et contre toute attente, ça fonctionne. Ca fonctionne même très bien. Dès que Zec subit sa transformation, le lecteur est scotché et n'a plus qu'une envie : savoir ce que réserve le chapitre suivant. Avec un style très direct, un rythme percutant, des dialogues qui sonnent étonnamment justes, des personnages immédiatement attachants, Carina Rozenfeld tient son lecteur en haleine, même avec des péripéties prévisibles voire peu vraisemblables (les indices laissés par les cheberithiens sont si bien cachés qu'il n'y aurait pas une chance sur mille de les découvrir, et de toute façon, il aurait suffi que le mentor, que l'on sait rongé par un double mal, ait eu un problème de santé fatal durant les seize dernières années pour que tout ce beau plan de sauvetage tombe bêtement à l'eau, preuve de l'inconséquence de ses concepteurs).
Le Livre des âmes se lit ainsi d'une traite, avec un plaisir juvénile, comme on visionne une bonne série télé. Simple certes, mais rafraîchissant, distrayant et finalement plutôt malin. Voilà un roman qui a tout à fait sa place dans cette collection Intervista, volontiers tournée vers des œuvres dynamiques, proches d'un cinéma d'action grand public. Dans ce domaine, Carina Rozenberg peut se féliciter d'avoir rempli ses objectifs : les deux suites seront attendues avec impatience.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 9/11/2008 nooSFere