Alors que Tanya Huff est connue en France pour sa série Vicki Nelson dont l'un des personnages principaux, Henry Fitzroy, est un vampire, voici un joli pavé de 600 pages où vous ne trouverez ni suceurs de sang, ni bêtes à poil, mais de la magie et de la féérie. Ne vous fiez pas à la quatrième de couverture, d'une part, ce récit n'est pas raconté à la première personne, d'autre part, le scénario est plus complexe que ce que suggèrent ces quelques lignes.
On pourrait penser qu'avec un si gros livre, Miss Huff pratiquerait la répétition et le délayage à haute dose... Eh bien ce n'est pas le cas. Donc, premier conseil, adeptes de la lecture en diagonale, abstenez-vous ! Car une information cruciale peut se loger dans n'importe quelle phrase que vous auriez d'ordinaire survolée. Comme l'auteur est aussi avare en explications, il n'est pas dans votre intérêt de manquer une insinuation ou une allusion sous peine d'être complètement perdu. L'ensemble est déjà bien assez dense sans ajouter une difficulté supplémentaire pour s'approprier l'univers développé ici.
L'absence de détails sur le statut et les actes des personnages peut d'ailleurs se révéler assez perturbante dans les premiers chapitres. Ainsi, le récit commence la veille du 1
er mai où doit se pratiquer un rituel visiblement essentiel pour la stabilité magique du groupe familial, mais le peu que nous en apprenons peut laisser perplexe ceux qui n'auraient pas révisé leurs classiques sur le sabbat
1. Nous déduisons que les Gale, dont notre héroïne fait partie, sont des sorciers, mais c'est uniquement sur les échanges verbaux de ces membres et sur leur pratique assidue des charmes. N'attendez aucune aide de l'auteur sur ce sujet !
Dès les premières pages, nous sommes également noyés par le nombre de personnages et par leurs discussions assez nébuleuses pour les néophytes que nous sommes. Il arrive même parfois que nous ne sachions plus à qui attribuer les échanges lors de conversations à plusieurs, ce qui devient fort lassant à la longue.
Après avoir mis en place toutes les pièces du puzzle, il s'avère que le clan Gale accueille en son sein un nombre conséquent de femmes au regard des quelques garçons qui naissent à chaque génération. À ce titre, chaque mâle se doit de faire ses choix matrimoniaux parmi ses multiples cousines — éloignées, bien sûr ! — afin que ses aptitudes magiques soient gardées dans la lignée. Les liens du sang sont extrêmement importants. Les célibataires sont donc vivement encouragés à se caser rapidement, à moins de supporter la suspicion de charmantes tantines sur leur possible déviance vers le côté obscur. La surreprésentation féminine implique que chacune se classe dans un cercle en fonction de son niveau de maîtrise de la magie. Si les tantes appartiennent toutes au premier cercle — celui qui consolide la base du pouvoir du clan — , Allie ne dépend que du troisième et n'est donc qu'un membre lambda du groupe, d'autant que les mâles de sa génération sont peu nombreux et qu'elle ne fait vraisemblablement pas partie des favorites.
Dès que vous avez intégré ces concepts, omniprésents dans tout le roman, le reste se lit assez aisément — si l'on accepte d'être un peu perdu de temps en temps — et on prend beaucoup d'intérêt à voir évoluer la jeune femme. Insignifiante au sein de son clan, elle reprend le magasin de bric-à-brac de sa loufoque et rebelle grand-mère à Calgary. Allie va donc enquêter sur la disparition de son aïeule, rencontrer toutes sortes de personnages étranges, trouver l'Amour et résoudre un mystère qui pourrait déstabiliser le monde. Loin de son envahissante famille, la sorcière va pouvoir se révéler en prenant son destin en main.
Malgré quelques facilités — tous les événements s'imbriquent un peu trop parfaitement — , l'originalité de la trame repose sur plusieurs niveaux de compréhension. En effet, le contexte familial est aussi important que l'emménagement d'Allie à Calgary ou sa rencontre avec Graham. Et même si l'ensemble manque un peu de punch, chaque action met petit à petit à nu un scénario digne d'une machination. Il est aussi appréciable que l'auteur ne se focalise pas sur son personnage principal, mais nous emmène sur les traces de plusieurs de ses compagnons. Comme Enchantment Emporium a une suite et, qu'en France, nous n'en connaissons pas le contenu, il est possible que l'un de ces jeunes gens soit le héros du second tome...
Vous l'aurez compris, pour ceux qui ont horreur de ne pas maîtriser leur lecture, allez voir ailleurs, ce roman n'est pas fait pour vous. Quant aux adeptes du saut dans le vide, laissez-vous tenter. Le promeneur perdu peut prendre beaucoup de plaisir à trouver son chemin...
Notes :
1. Rappel : le sabbat se pratique à des dates clés comme le solstice, l'équinoxe ou encore la nuit de Walpurgis (fête du printemps au 1er mai). On y célèbre — par toutes sortes de moyens — les forces vitales de la Nature incarnées par le dieu Cornu dont le symbole est souvent associé au cerf. Cet animal, par ces cornes qui tombent puis repoussent, représente la vie éternelle et le renouvellement cyclique.
Nathalie TELL
Première parution : 27/10/2012 nooSFere