Seignolle connaît un destin assez semblable à celui de Jean Ray. Cet autre traqueur de fantastique, édité d'abord par d'éphémères maisons, à l'œuvre introuvable, reçoit enfin la consécration. Déjà Denoël nous avait restitué six anciennes nouvelles dans « Un corbeau de toutes les couleurs » ; et voici que les Éditions Maisonneuve présentent en un seul volume, préfacé par Hubert Juin, trois romans parus antérieurement.
« La Malvenue », « Maria la Louve », « Le rond des sorciers », se déroulent aux confins du siècle dernier dans cette Sologne toujours propice aux sortilèges. (Il y a quelques années, un garçon de 18 ans y est mort des suites d'une tentative de désenvoûtement.)
« La Malvenue ». Un été lourd, qui accable et énerve les corps, la campagne ardente et crissante de soleil, et le plomb de la chaleur sont sans doute des sortilèges suffisants pour expliquer le destin de Jeanne qui incendie la moisson, charge un innocent, pousse son amoureux à bouter le feu à la ferme familiale. Ce ne serait que le destin hors série d'une fille perverse et pyromane s'il n'y avait l'autre. La statue brisée qui dormait sous la terre, près de l'étang maudit. Le soir les flammes l'animaient, et elle portait malheur, dit-on. Et il y a le trimardeur, accablé par l'incendiaire, qui sait, ne se défend pas, mais essaye de délier cette âme maudite, et dont les apparitions sont plus sans doute que les simples hallucinations du remords.
Maria la Louve encore enfant vit le meneur de loups glisser sa menotte dans la gueule d'un louveteau ; de ce jour, et tant que l'homme vivra, elle aura pouvoir de guérir les morsures. Elle en rit, mais un jour, harcelée par une mère dont l'enfant fut mordu par une bête enragée, elle cède et guérit. Du coup la voilà sacrée sorcière, enviée, haïe, méprisée et enviée, car elle est belle et ardente comme un fruit d'août. C'est la clameur unanime et imbécile déchaînée contre elle, la haine basse et baveuse de ces paysans qui tremblent. Les Malgrain dont le fils l'aime veulent la voir morte, ou au moins chassée du pays. Et le curé, guère plus avisé que ses paroissiens au front bas, se met de la partie. Maria se veut alors sorcière, songe à l'Autre maintenant que Dieu la repousse. Le démon apparu dans la nuit n'est autre que le meneur de loups, mais il suffit, la mort frappe et fauche, un loup déchire la gorge du fils Malgrain, et Maria, ayant perdu son pouvoir, reste seule devant le cadavre.
« Le rond des sorciers » ou le destin de Clément, ouvrier journalier, que la lecture d'un grimoire décide à devenir sorcier. Peu à peu il assiège la fille de la ferme, l'engrosse, fait fuir le fils, règne occultement sur les campagnes. Mais sa belle-mère lui paraît devoir user de maléfices pour saper sa puissance. Intoxiqué par ses grimoires, il brûle vive la vieille femme (ce sont des pages d'une horreur presque insoutenable) avant de sombrer dans la folie.
Les sujets n'ont rien de recherché ; la lecture attentive des faits divers en révèle souvent de semblables, aussi quand Seignolle les assure vrais je le crois. Ces paysans obtus, âpres aux gains, penchés sur la glèbe, avides, retors, superstitieux et brutaux ont existé, existent encore çà et là, et si atroces que soient les destins de la grand-mère arrosée de pétrole, du gars enfermé dans son cercueil de pierre, ils sont de ceux que l'on rencontre dans la réalité. Comme sont bien réelles l'odeur rêche de l'été, les moissons qui jaunissent et craquent au soleil. Seignolle travaille en plein pâte naturaliste, jusque dans le jargon et le patois de ses personnages. C'en est presque de la littérature photographique.
Romans paysans, régionaux, naturalistes, bon ; mais alors, le fantastique ? Il est partout, baignant toutes les pages, sans appel aux clichés éculés ; pas de présences visibles, de châteaux en ruines, de mystérieux objets maléfiques qui semblent obligatoires à certains, ni vampires, ni démons, ni apparitions. Les personnages ont toute la pesanteur d'êtres de chair, et l'on sent en eux monter lentement et sourdement les forces maléfiques. Brossant magistralement caractères et décors, servi par une langue chaude et souple, parfois soudainement râpeuse, et dont les images n'ont rien d'éthéré, qui toutes fleurent la glèbe fumante au soleil, le guéret brûlé, le relent des étables, Seignolle nous, fait assister à on fantastique intérieur. Le faisceau compact de solide réalité donne tout son prix à cet art allusif. L'angoisse, l'insolite, la peur naissent du réel : un mot, une phrase, une odeur, rendent perceptible ce souffle maléfique qui se mêle a celui de l'été et suffisent à signaler la présence invisible, insaisissable, qui les assiège tous.