Signal d'alerte - Fictions courtes et dérangements
Neil GAIMAN Titre original : Trigger Warning: Short Fictions and Disturbances, 2015 Première parution : Londres : Headline publishing group, 3 février 2015ISFDB Traduction de Patrick MARCEL
J'AI LU
(Vauvert, France), coll. Fantastique (2007 - ) n° 12931 Date de parution : 3 juin 2020 Dépôt légal : juin 2020 Réédition Recueil de nouvelles, 480 pages, catégorie / prix : 8,50 € ISBN : 978-2-290-13466-5 Format : 11,0 x 17,8 cm❌ Genre : Imaginaire
« Il est des choses qui nous perturbent, des mots ou des idées qui surgissent sous nos pas comme des trappes, nous précipitant de notre monde de sécurité et de bon sens en un lieu beaucoup plus sombre et moins accueillant. »
C’est là le chemin que Neil Gaiman nous propose d’arpenter à travers ces vingt-quatre nouvelles, contes et poèmes, en s’affranchissant des genres pour ne garder que la substantifique moelle d’un imaginaire tour à tour sombre ou flamboyant.
1 - Introduction (Introduction, 2014), page 9, introduction, trad. Patrick MARCEL 2 - Monter un siège (Making a Chair, 2015), page 47, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 3 - Un labyrinthe lunaire (A Lunar Labyrinth, 2013), page 51, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 4 - Le Problème avec Cassandra (The Thing About Cassandra, 2010), page 65, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 5 - Au fond de la mer sans soleil (Down to a Sunless Sea, 2013), page 93, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 6 - « La vérité est une caverne dans les Montagnes noires... » (“The Truth Is a Cave in the Black Mountains...", 2010), page 99, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 7 - Ma dernière logeuse (My Last Landlady, 2010), page 141, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 8 - Un récit d'aventure (Adventure Story, 2012), page 147, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 9 - Orange (Orange, 2008), page 153, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 10 - Un calendrier de contes (A Calendar of Tales, 2013), page 167, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 11 - L'Affaire de la mort et du miel (The Case of Death and Honey, 2011), page 207, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 12 - L'Homme qui a oublié Ray Bradbury (The Man Who Forgot Ray Bradbury, 2012), page 237, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 13 - Jérusalem (Jerusalem, 2011), page 247, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 14 - Clic-Clac, le sac qui claque (Click-Clack the Rattlebag, 2013), page 257, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 15 - Une invocation d'incuriosité (An Invocation of Incuriosity, 2009), page 265, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 16 - « Et pleurer, à l'instar d'Alexandre » ('And Weep, Like Alexander', 2011), page 285, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 17 - Nulle heure pile (Nothing O'Clock, 2013), page 293, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 18 - Perles et diamants : un conte de fées (Diamonds and Pearls: A Fairy Tale, 2009), page 337, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 19 - Le Retour du mince duc blanc (The Return of the Thin White Duke, 2015), page 343, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 20 - Terminaisons féminines (Feminine Endings, 2008), page 361, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 21 - Un respect des convenances (Observing the Formalities, 2009), page 371, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 22 - La Dormeuse et le rouet (The Sleeper and the Spindle, 2013), page 375, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 23 - Ouvrage de sorcière (Witch Work, 2012), page 411, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 24 - En Relig Odhráin (In Relig Odhráin, 2011), page 413, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 25 - Le Dogue noir (Black Dog, 2015), page 419, nouvelle, trad. Patrick MARCEL
Le temps passe pour tout le monde, mais pour les écrivains, il passe différemment : l’homme vieillit, l’œuvre peut vieillir, mais la manière parfois ne change jamais. Ainsi du Neil Gaiman nouvelliste, dont le troisième recueil, par sa composition et ses thématiques, s’inscrit dans la parfaite lignée des deux précédents, parus en 2000 et 2009, déjà au Diable Vauvert. Soit un patchwork de textes hétéroclites et de taille variable, où tous les mauvais genres sont convo-qués dans une joyeuse célébration de la forme courte (mais pas que : le recueil comporte également quelques poèmes).
Destins tragiques ou bien contrariés, explorations de solitudes, voyages bizarres dans l’enfance du monde ou les noires cruautés de l’âge adulte, parsemés de clins d’œil à la littérature comme il l’aime : l’auteur britannique porte encore une fois un regard ironique et généreux, fourmillant de détails, sur un petit peuple de (anti)héros aux abois, pour lesquels le basculement dans le fantastique agit comme un révélateur — ou une porte de sortie. Petite musique tantôt légère tantôt grave, mais toujours bienveillante, d’un écrivain voué au réenchantement d’un réel méchamment cabossé.
Il serait vain d’énumérer toutes les histoires de ce copieux volume, aussi me contenterai-je d’évoquer les plus représentatives : ainsi la sombre et belle novella « La Vérité est une caverne dans les Montagnes noires », implacable récit de vengeance dans le cadre des îles du Nord de l’écosse. « Le Dogue noir », qui clôt le volume, qui rappelle à notre bon souvenir Ombre, le héros d’American Gods, confronté ici à d’étranges apparitions (fantôme et monstre canin) dans une campagne anglaise où les brumes de la féérie sont moins toxiques que les amours déçus. L’histoire parvient à surprendre malgré des ficelles grosses comme des camions, et l’on reste admiratif devant la progression et l’équilibre général de l’intrigue. Tout en maîtrise. Citons encore « Le Problème avec Cassandra », sur une petite amie imaginaire qui vient s’incruster dans la vie de son créateur, et dans laquelle on peut voir une métaphore sur le travail d’écriture. Et puis aussi, pourquoi pas, « Le Retour du mince duc blanc », d’inspiration Moorcockienne.
Gaiman excelle dans l’hommage littéraire et le pastiche : les mânes — ou les œuvres — de Bradbury, Ellison, Sheckley, Conan Doyle, Jack Vance sont ainsi convoquées et revisitées avec bonheur (réjouissante «Une invocation d’incuriosité »). Dans « Nulle heure pile », l’auteur se confronte à l’univers de Doctor Who, le temps d’une aventure inédite et angoissante. Les réécritures de contes de fées sont également plutôt réussies : mention en particulier à « La Dormeuseetlerouet» (déjà critiquée, sous un autre titre, dans le Bifrost n°82). À noter enfin quelques textes échappant à toute classification, et qu’on qualifiera donc prudemment d’expérimentaux, tels « Orange », où le lecteur doit progresser au travers de ce qu’on devine être les réponses à un interrogatoire, et «Uncalendrierde contes », construit à partir d’échanges avec des fans sur Twitter.
Revenons pour finir sur cette coutume typiquement anglo-saxonne qui consiste, pour un auteur, en pré- ou en postface, à faire sa propre exégèse. Rapportée au présent recueil, cela donne une introduction un brin putassière, où le rappel des circonstances de la création de chaque nouvelle est noyé sous une tonne d’éloges dégoulinants, d’anecdotes plus ou moins dignes d’intérêt et d’autosatisfecit. Dans un sursaut de lucidité, Gaiman y évoque toutefois avec justesse cette zone de confort que les écrivains et nous, lecteurs, partageons e voulons rarement quitter (ou au prix de grands efforts). Ce qui nous ramène à la propre introduction du présent papier : il y a des auteurs qu’on aborde en sachant qu’ils vous désintégreront les neurones, et d’autres qu’on retrouve comme une paire de pantoufles, vieillies mais agréables. Pantouflard, Gaiman ? Le plaisir qu’on prend à le lire est peut-être différent, cela n’en reste pas moins du plaisir.
Sam LERMITE Première parution : 1/4/2019 Bifrost 94 Mise en ligne le : 12/9/2023
Prix obtenus
Locus, Recueil, 2016 Bob Morane, Nouvelle / Short story, 2019 Imaginales, Nouvelle / Short story, 2019