Pour ceux qui n'auraient pas encore eu l'opportunité de découvrir la série Jane Yellowrock de Faith Hunter, les éditions Panini ont eu l'excellente idée de reprendre le catalogue Eclipse. Et, lecteurs chanceux que nous sommes, en cette année 2013, la collection Crimson accueille la réédition des trois premiers tomes ainsi qu'une prochaine parution inédite des aventures de la porteuse de peau Cherokee.
Comme pour beaucoup de cycles anglo-saxons, l'héroïne est d'abord apparue dans une nouvelle,
La marque des morts 1, dont Molly Trueblood, la narratrice, est une sorcière.
Tueuse de vampires reprend l'histoire quelques mois plus tard en plaçant, cette fois, Jane Yellowrock comme personnage narrateur. Autoproclamée
chasseuse de vamps' après avoir éradiqué un nid de suceurs de sang renégats du côté d'Asheville — action se déroulant dans la nouvelle — , la jeune femme est engagée par Katie, une vampire de La Nouvelle-Orléans, pour éliminer un paria. Celui-ci sème des cadavres affreusement mutilés dans les rues de la ville sans que ses pairs n'aient découvert son identité. Gardant elle-même secrète sa nature de
porteuse de peau, Jane va plonger au cœur des intrigues vampiriques et parallèlement redécouvrir une partie de son héritage Cherokee.
Joli pavé de près de 460 pages, le premier chapitre de ce tome peut donner l'impression d'un texte un peu indigeste et lent en raison du style de l'auteur très porté sur les descriptions. Il est possible que les adeptes des scénarios centrés sur l'action et réduits à l'essentiel côté univers — très à la mode ces dernières années dans le petit monde de la bit-lit — soient quelque peu déstabilisés. Un conseil : persévérer, car l'histoire bénéficie grandement de la plume de miss Hunter d'autant qu'elle nous propose une héroïne plutôt singulière.
Selon les légendes du peuple Cherokee, Jane Yellowrock est une porteuse de peau : elle possède la particularité de pouvoir se transformer en animal, n'importe lequel, du moment qu'elle a accès à un fétiche contenant son ADN et que sa masse corporelle soit équivalente à la sienne. Partageant son esprit avec Bête, une femelle couguar, la jeune femme profite aussi, sous sa forme humaine, des sens surdéveloppés de son félin. Malgré de longues années de cohabitation, leur entente demeure délicate en raison de divergences sur leurs besoins de base. Le gros chat n'hésite pas à jouer de ses griffes à l'intérieur de son hôte et à prendre régulièrement la main sans sa permission. C'est l'occasion d'échanges chargés d'humour caustique et plutôt abrasifs qui ajoutent du piquant à un texte parfois austère. Heureusement, ces dames se rejoignent sur un point : la chasse. Jane utilise donc les aptitudes de sa colocataire pour mener son enquête et pister le paria au cœur de la nuit. L'auteur alterne ainsi les chapitres en donnant successivement la narration aux deux protagonistes. Ce mode de fonctionnement apporte de l'originalité au récit d'autant que le duo perçoit le même environnement de manière différente, la bestialité de l'une gommant l'humanité de l'autre. Le talent de Faith Hunter pour les descriptions prend alors tout son sens.
Odeurs et sensations sont mises à l'honneur dans l'exploration de La Nouvelle-Orléans, nous immergeant, de nuit, au cœur même de l'atmosphère particulière de cette ville mythique, et ce, malgré le passage dévastateur de l'ouragan Katrina. De plus, les sens exacerbés de Jane, grâce à la nature féline de Bête, apportent une dimension très charnelle au récit dans ses rencontres, quel que soit son interlocuteur. Et même si les relations amoureuses sont absentes de l'histoire, la tension sexuelle reste bien présente tout du long, encouragée par la volonté du couguar de leur trouver un compagnon. Il faut dire que plusieurs de ces messieurs semblent assez prometteurs !
Côté univers, le coming out des vampires et des sorcières n'a visiblement pas encore inspiré les autres espèces non humaines, absentes pour le moment du récit. Au contact rapproché des premiers lors de son enquête, la porteuse de peau va approfondir sa connaissance des mœurs et des coutumes de l'espèce, au risque de développer des sentiments ambivalents à leur sujet. Un vrai problème pour une chasseuse de vamps' ! Si l'auteur n'apporte pas vraiment de nouveauté sur nos amis suceurs de sang, elle nous propose un monde aux codes très travaillés et aux personnalités hautes en couleur. Celles-ci ne manquent certes pas de glamour, mais restent au final des êtres sanguinaires forts éloignés du semblant d'humanité qu'ils affichent en société. Et quand Jane croise le chemin d'un vampire, le bain de sang n'est jamais bien loin. Il faut dire que la demoiselle garde toujours un pieu à portée de main — mais aussi toute une panoplie d'armes en tous genres — et qu'elle n'a aucun scrupule à s'en servir. Les scènes d'action bénéficient une fois de plus du talent de l'auteur pour les détails.
Parallèlement, nous en apprenons un peu plus sur le passé de notre héroïne. Protégeant depuis toujours son secret, Jane demeure isolée. En dehors de Molly — la sorcière présente dès la création de la série — , elle semble n'être proche de personne. C'est un personnage volontaire et solitaire qui se veut sans faiblesse, affrontant les problèmes en fonçant droit dedans. Sa rencontre avec une chamane Cherokee va devenir l'occasion de retrouver ses racines. Revenir sur son passé apporte de la fragilité et de la densité à une héroïne un brin caricaturale, d'autant que l'auteur n'est pas avare en révélations. Cela enrichit considérablement le récit et aménage des moments de pause dans une enquête plutôt lente et sinueuse.
Alors que les dernières parutions bit-lit font la part belle au sous-genre de la romance paranormale, les aventures de Jane Yellowrock, clairement tournées vers la fantasy urbaine, sont rafraîchissantes. Elles nous réconcilient avec un genre qui surfe un peu trop souvent sur les tendances à la mode au détriment, plus que de raison, de l'originalité et de la qualité. L'univers très travaillé apporte un vrai plaisir de lecture et on se laisse totalement porter par l'histoire. À découvrir absolument !
Notes :
1. Parution chez Milady en mars 2011 dans l'anthologie Philtres et Potions